Les maçons descendent dans la rue le 24 septembre

Les maçons descendent dans la rue le 24 septembre



La Convention Nationale (CN) du
secteur de la construction expire à la fin de
l’année. Si aucun accord n’est trouvé
d’ici là entre syndicats et entrepreneurs, les conditions
de travail risquent de se dégrader et il n’y aura plus de
salaires minimums obligatoires. Pourtant, les entreprises du
bâtiment enregistrent des chiffres d’affaires jamais vus
depuis quinze ans. Au vu de cette situation paradoxale, les
travailleurs revendiquent une meilleure CN et manifesteront à
Berne le samedi 24 septembre pour faire entendre leur voix. Notre
rédaction s’est entretenue avec Alessandro Pelizzari,
secrétaire régional d’UNIA à Genève.

Quelle est la situation générale dans le secteur de la construction en Suisse aujourd’hui ?

Il s’agit d’une situation très favorable aux
patrons. La crise n’a quasiment pas affecté ce secteur. Il
suffit d’ouvrir les yeux : les chantiers pullulent partout
et les commandes sont en hausse de 7,3 %. Cette fabuleuse
croissance s’accompagne d’une pénurie de
main-d’œuvre. Depuis 1990, la main-d’œuvre
occupée dans la construction a diminué de moitié,
pour un volume de production constant. Résultat : les
entrepreneurs encaissent des gains de productivité alors que les
travailleurs subissent des pressions toujours plus fortes. Au cours des
dix dernières années, la productivité a
augmenté de 7,7 % contre seulement 3,6 % pour les
salaires. Et au premier trimestre 2011, les entrepreneurs ont
enregistré un chiffre d’affaires supérieur de
15,1 % à celui de l’année
précédente.

Pourtant, les patrons continuent à faire pression sur les travailleurs…

S’ils reconnaissent que la situation est globalement favorable,
les patrons justifient leurs attaques en invoquant la baisse de leurs
marges de bénéfices. Si tel est le cas, ils en sont
largement responsables : depuis une dizaine
d’années, nous constatons une concentration de
l’activité entre les mains des plus grosses entreprises de
la branche, comme Implenia, Marti ou Losinger. Celles-ci externalisent
une bonne partie de leurs activités et organisent une
concurrence féroce entre les sous-traitants pour
décrocher des parts de marché. Conséquence pour
les salariés : une explosion du travail précaire
(souvent au noir, avec des salaires de dumping) et temporaire. Or, les
patrons ne veulent pas entrer en matière sur ces questions.
L’absence d’une protection du travail suffisante, notamment
quand on considère la dangerosité de ces métiers
est devenue inacceptable.

Qu’en est-il des négociations au sujet de la Convention Nationale ?

Les négociations ont débuté à la fin du
printemps dernier. Au niveau cantonal à Genève, les
syndicats ont rapidement interrompu le processus face à
l’attitude des patrons, décidés à ne rien
lâcher. Les négociations se déroulent donc
exclusivement au niveau national. Les revendications que les patrons
ont avancées ont beaucoup surpris par leur agressivité,
quand on sait à quel point leurs activités se portent
bien. Globalement, leur intention est d’assouplir encore la
protection salariale, de flexibiliser le travail et de réduire
le champ d’application de la CN. Un exemple parmi d’autres
tout à fait scandaleux : la volonté
d’introduire des catégories de travailleurs
« moins bons » (comprendre « les
vieux ») qui bénéficieraient de conditions
de travail inférieures. La pression accrue sur les salaires et
les conditions de travail, cumulée à une concurrence
féroce a accru la précarisation dans le secteur.
Aujourd’hui, les travailleurs n’en peuvent plus et disent
stop.

Plus précisément, que revendiquent les travailleurs·euses ?

Les travailleurs·euses ne bénéficient pas de
protection suffisante face à la flexibilisation qu’on leur
impose : en cas de mauvais temps et de suspension des travaux,
ils doivent récupérer leurs heures quand il fait beau et
il n’est pas rare qu’ils travaillent douze heures par jour
en été. C’est comme si les ouvriers étaient
responsables de la pluie… Sans parler du fait qu’un
travailleur de la construction qui tombe malade ne touche que
80 % de son salaire et se voit en plus déduire un jour de
carence ! De plus, pour combattre les abus et infractions
à la convention qui découlent des sous-traitances en
cascade, nous revendiquons le principe de la responsabilité
solidaire. Cela signifie que lorsqu’une entreprise externalise
une part de son activité, elle est responsable des conditions de
travail des employés de toutes les entreprises sous-traitantes.

    Une enquête menée sur les chantiers
auprès de 16 000 personnes a montré que ce dont
les travailleurs ont le plus besoin, c’est de protection sociale
(en cas de maladie, ou d’intempéries par exemple) et aussi
de rattraper les pertes de salaire. 

Qu’attendez-vous de la manifestation du 24 septembre à Berne ?

Les négociations sont au point mort depuis le début de
l’été. D’un côté les patrons
tentent de détériorer la CN, de l’autre les
travailleurs n’en peuvent plus et veulent non seulement conserver
les acquis de la CN, mais également
l’améliorer ! Puisque la situation est
bloquée, nous avons décidé de descendre dans la
rue. En 2007 à Zurich, la manifestation des maçons avait
réuni plus de 15 000 personnes, ce fut un succès.
Nous espérons faire aussi bien. Si rien n’avance
après ça, nous entendons intensifier la pression au cours
du mois d’octobre, malgré la paix du travail qui
régit les périodes sous convention. Il faut rappeler que
le taux de syndicalisation dans la construction à Genève
est de 90 %, nous avons donc un fort potentiel de mobilisation.
C’est un secteur moteur dans les luttes syndicales du pays, le
succès ou non de la mobilisation aura donc une valeur symbolique
pour tous les autres secteurs.

Propos recueillis par Pierre Raboud