Nigéria

Nigéria : Une mobilisation historique

Le 1er janvier 2012, le président de la République du Nigeria, Goodluck Jonathan, annonce la fin de ce qu’il appelle « la subvention à l’essence », ce qui a pour conséquence d’en doubler les prix.

Bien que le Nigeria soit le premier pays africain exportateur de pétrole, les populations devraient payer le prix fort et ne subir que les conséquences néfastes de la pollution et de la corruption liées à l’extraction de l’or noir.

[…] En fait, parler de subvention est, au pire, un mensonge au mieux un abus de langage. En effet, le Nigeria garde 445 000 barils/jours en plus des 2.5 millions de barils produit par jour pour sa consommation domestique. 170 000 barils sont raffinés sur place (80 000 barils pour la raffinerie de Warri et 90 000 pour celle de Port Harcourt). Le reste est raffiné à l’extérieur du pays pour être ensuite réimporté. Dans le premier cas, celui du traitement domestique sur place, le prix vendu compense très largement les frais de raffinage, estimés à 34 nairas. Pour le second cas, les estimations sont de 44 nairas avec un raffinage de très mauvaise qualité assuré, entre autres, par la société Trafigura qui s’est illustrée en déchargeant des déchets toxiques à Abidjan en Côte d’Ivoire. En fait, le gouvernement, pour fixer le prix à la pompe, se réfère au prix de l’essence importée en oubliant de déduire la somme reçue lors de l’exportation du baril de brut qui a servi au raffinement de cette essence.

Trois semaines avant l’annonce de cette augmentation, lors de son voyage au Nigeria, Christine Lagarde, directrice du FMI avait intimé l’ordre au gouvernement nigérian de réduire les dépenses de l’Etat. C’est dans ce cadre que le gouvernement, en parlant de suppression de la subvention, ne vise en fait qu’à intégrer les 445 000 barils dans la production OPEP et vendre l’essence à un niveau identique à celui de n’importe quel pays qui importerait de l’essence sans fournir les barils de pétrole brut.[…]

Le Goodluck de la bourgeoisie

Les capitalistes nigérians n’ont eu de cesse de brader les richesses et les entreprises aux multinationales et veulent déréguler complètement le secteur pétrolier en privatisant la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC).

Jonathan Goodluck se justifie en expliquant qu’il s’agit, pour l’Etat, de faire des réserves financières. Mais faire des réserves pour quoi ? Déjà, l’Etat a subventionné, à coup de milliards de nairas, les principales banques du pays sans rien exiger en retour. Pour mieux faire passer la pilule, les dirigeants tentent de faire croire que les sommes récupérées sur la population serviront à investir dans les infrastructures du pays. Ils ont déjà fait le même coup en 2007 lors de l’augmentation du diesel sans que personne ait rien vu de concret.  […]

Depuis 1999, malgré la délivrance de 19 licences pour la construction de raffineries qui font cruellement défaut au pays, aucune n’a vu le jour, car les multinationales empêchent l’édification de toute usine de transformation du pétrole qui pourrait les concurrencer.

Pendant des décennies, le gouvernement a fermé les yeux sur la pollution liée à l’extraction du pétrole. Dans le delta du Niger, l’eau n’est plus potable, les activités agricoles sont condamnées, l’air est devenu irrespirable du fait des torches et les populations ne peuvent que voir leur région se détruire ou bien se réfugier dans des activités mafieuses et de piraterie pour survivre.

 

La riposte des populations

Dès l’annonce de cette mesure, des milliers de Nigérians sont descendus spontanément dans la rue dans les principales villes du pays, Kano, Ilorin, Kogi, mais aussi Abuja, la capitale politique et Lagos, le centre économique du pays. Ils ont exprimé un ras-le-bol de ces gouvernements corrompus qui se succèdent, mais mènent la même politique : celle de s’enrichir aux dépens des populations. L’essence ne sert pas uniquement pour les véhicules, mais aussi aux générateurs pour produire l’électricité du réseau totalement déficient du fait de l’incurie des dirigeants. Les Nigérians considèrent que la seule retombée positive de la manne pétrolière est de bénéficier d’un prix relativement bas pour l’essence.

Le doublement du prix de l’essence ne va pas avoir seulement un impact sur les transports, mais aussi sur les produits de consommation courante du fait de l’augmentation des coûts de production et d’acheminement. Une situation impossible pour 70 % des 160 millions d’habitants qui vivent avec moins de deux dollars par jour.

Au Nigeria, les deux principales organisations syndicales, le Trade Union Congress (TUC) et le Nigerian Labour Congress (NLC) sont puissantes, mais leur talon d’Achille sont leurs directions particulièrement corrompues qui évitent au maximum les affrontements décisifs avec la bourgeoisie. Quand elles ont défié le pouvoir de la bourgeoisie, les organisations syndicales l’ont toujours fait sous la pression des mobilisations des masses.

Raison pour laquelle les organisations de la gauche radicale – actives bien que faibles – mettent en avant la nécessité de l’auto-organisation et du contrôle des luttes par la base. C’est dans ce cadre que s’est créé le Joint Action Front, qui est vu comme la troisième composante de la lutte à côté deux organisations syndicales.

A travers des revendications comme la nationalisation, le contrôle des travailleurs et des consommateurs sur l’industrie pétrolière, la gauche radicale met en avant des perspectives afin de créer une solution de rechange à la politique de pillage des multinationales occidentales avec la complicité des élites du pays.

Les mobilisations ont été telles que gouvernement et bureaucratie syndicale se sont mis d’accord pour enrayer une situation qui risquait de leur échapper. Pendant que les directions syndicales appelaient à la fin des manifestations et des grèves, Jonathan Goodluck fixait le prix du litre d’essence à 97 nairas. En parallèle, l’armée investissait les principaux centres urbains et empêchait violemment tous rassemblements. L’heure est maintenant au bilan et à la construction d’organisation réellement au service des travailleurs et des populations. 

 

Paul Martial, « Afrique en lutte » (coupures de la rédaction)