Initiative «contre les rémunérations abusives»

Initiative «contre les rémunérations abusives» : Le PS dans le piège populiste

Le 3 mars prochain, nous voterons sur l’initiative Minder. C’est une initiative interne à la bourgeoisie?; elle concerne la répartition des profits entre dirigeants d’entreprise et détenteurs d’actions. Elle s’adresse à celles et ceux qui fréquentent les assemblées d’actionnaires. On trouvera ci-dessous, comme contribution à la discussion, un article critique paru dans la « Wochenzeitung ». La position de solidaritéS sera publiée prochainement. solidaritéS Neuchâtel appellera à voter oui à cette initiative, sans illusions sur ses effets, mais en profitant de l’occasion pour dénoncer les salaires démesurés que s’octroient les manageurs et le creusement incessant des inégalités.

Comment est-il possible qu’une initiative due à la plume de Thomas Minder, membre du groupe parlementaire de l’UDC et petit patron, suscite autant d’engouement dans la gauche ? Lors du congrès du PS à Thoune, début décembre, la conseillère nationale Susanne Leutenegger Oberholzer a soutenu par un discours enflammé cette initiative dite des arnaqueurs (en allemand, réd.)?; son pathos révolutionnaire a réussi à entraîner l’ensemble des délégué·e·s dans son sillage […]

L’initiative Minder préconise entre autres que les actionnaires des entreprises cotées en bourse votent, chaque année, le montant de toutes les rémunérations du conseil d’administration et de la direction. Par ce biais, le fabricant de bains de bouche de Neuhausen (SH) veut limiter les salaires gigantesques des dirigeants d’entreprises, qui depuis des années heurtent la population. Les actionnaires, en tant que propriétaires, n’auraient pas intérêt à laisser les manageurs s’en mettre plein les poches : tel est l’idée de base. Car en fin de compte, c’est de l’argent des actionnaires qu’il s’agit.

[Yves Wegelin cite ensuite les exemples britanniques et l’enquête de l’Université de Harvard, qui montrent que l’intuition de l’initiative n’est pas confirmée dans la réalité : bien qu’en augmentation constante, les salaires des dirigeants sont approuvés par les actionnaires. Ce que confirme aussi la pratique d’environ la moitié des cent plus grosses entreprises suisses cotées en bourse dans lesquelles on procède à une votation consultative et volontaire sur cette question.]

 

Des dégâts menaçants

Inutile, l’initiative Minder serait donc inoffensive ? C’est une conclusion trop hâtive. Un oui à l’initiative pourrait avoir des conséquences fâcheuses. Tous les actionnaires ne sont de loin pas intéressés, corps et âme et portemonnaie inclus, au succès à long terme de leur entreprise. Beaucoup ne cherchent qu’à soutirer le maximum d’argent le plus rapidement possible, pour se tirer ensuite vite fait, bien fait. Certains investisseurs le font en achetant suffisamment d’actions d’une entreprise pour pouvoir placer leurs hommes de paille au conseil d’administration?; dépecée, l’entreprise est ensuite vendue à la découpe. C’est ainsi que procèdent par exemple les fonds spéculatifs. Ces « criquets migrateurs », comme l’ancien président du SPD allemand Franz Müntefering qualifia une fois ces sociétés financières et ces fonds, accueilleraient l’initiative Minder comme un heureux hasard.

Car l’initiative prévoit aussi la réélection annuelle de chaque membre du conseil d’administration, ainsi que du conseil consultatif, par les actionnaires. Il sera donc d’autant plus facile de changer de conseil d’administration. En outre, l’initiative veut interdire le droit de vote des dépositaires ou d’un membre d’un organe de la société. Les banques ne pourraient donc plus voter au nom des clients leur ayant confié leurs actions. De même, la direction de l’entreprise ne pourrait plus représenter des actionnaires. Ainsi, selon l’Université de Zurich, un quart des voix disparaîtraient. Les « criquets migrateurs » devraient donc acquérir encore moins d’actions – et de voix – pour fondre sur une entreprise. […]

Scandalisé par l’arnaque de certains manageurs, le PS se range avec passion derrière une initiative qui pousse à l’extrême le principe fondamental du capitalisme : le capital commande. Toujours. Le plus immédiatement possible. […] Dans le pire des cas, l’application de ce principe facilite le pillage d’une entreprise. Dans le meilleur des cas, les actionnaires devraient réduire les salaires des dirigeants. Pour ensuite mettre où cet argent ? Dans leurs propres poches. Exactement comme le voulait l’économiste Alfred Rappaport, qui dans son livre influent Creating Shareholder Value (1986) célébra la maximisation du profit en faveur des actionnaires comme objectif fondamental de l’entreprise. […]

 

Tous contre economiesuisse

Le PS conçoit toutefois surtout l’initiative Minder comme partie d’un combat politique plus large contre la droite, en particulier contre la faîtière de l’économie, economiesuisse. L’initiative « Contre les rémunérations abusives » devient un test dans la perspective d’une série d’autres initiatives lancées : l’initiative 1 : 12 sur l’éventail des rémunérations, celle sur le salaire minimum, celle sur les successions, ainsi que celle sur les forfaits fiscaux. Une défaite sur l’initiative Minder donnerait un signal politique fatidique, selon S. Leutenegger Oberholzer. […] A la dérobée, dans le parti, des voix critiques s’expriment contre ce cours populiste de la direction du parti. Mais elles restent mezzo voce, car elles savent aussi qu’il serait bien difficile d’aller expliquer à l’homme de la rue que l’on est contre une initiative qui veut s’en prendre aux arnaqueurs. C’est là toute l’habileté de Minder.

 

Yves Wegelin

« WOZ » nº 51, 20.12.2012

Traduction et adaptation

de la rédaction