Débats...

Nous publions cette lettre de Rina Nissim et Jacqueline Heinen datée du 25 janvier 2013, qui suscite de vives réserves parmi plusieurs membres de notre rédaction, tant sur le ton que sur la forme. Elle fera, sans doute, débat notamment en relation avec son rejet de l’existence même de l’islamophobie comme forme importante du racisme dans le monde occidental (SP).

 

Chèr·e·s ami·e·s de solidaritéS

 

Dans votre numéro de fin d’année (20 décembre 2012) vous accordez les quatre pages centrales à un article sur les féminismes islamiques. Certes, il est bon de savoir que des femmes courageuses luttent à l’intérieur de l’islam en vue de le réformer pour une plus grande émancipation des femmes.

Nous sommes toutefois des plus surprise. A-t-on jamais lu dans votre hebdomadaire des contributions sur les efforts similaires de femmes chrétiennes en faveur d’une  relecture de la bible ou des évangiles, ou encore des femmes juives qui questionnent la torah ? Or il y en a bien sûr, car les fondements patriarcaux de ces religions monothéistes sont analogues. Mais solidaritéS est un journal laïque, et ceci explique sans doute cela.

Les femmes voilées sont stigmatisées dans nos pays et nous ne voulons pas être taxées d’islamophobes. Une belle invention, ce mot-là, soit dit en passant. Elle vient des islamistes radicaux et s’inscrit dans leur effort de construction d’une identité, par-delà les différences régionales. Autrefois, on parlait de racisme et d’antisémitisme. Il est vrai que le racisme à l’endroit des musulmans l’emporte aujourd’hui sur celui qui vise les juifs (mais pas sur celui s’adressant aux Noirs). 

Aussi Zahra Ali est-elle peut-être sincère dans son propos. On relèvera toutefois que qualifier tous les féminismes et les visions sécularistes de colonialistes est un peu court. Il existe, dans les pays musulmans, des féminismes endogènes autres que réformistes – laïques notamment – et on apprécierait qu’elle développe ce point, évoqué au détour d’une phrase. Par-delà le caractère passablement touffu de sa démonstration, la troisième voie qu’elle propose – dépasser les diverses postures réformistes (traditionnelle, radicale, libérale) qui, selon elle, caractérisent les féminismes musulmans – ne saurait nous faire accepter le relativisme culturel ou religieux.

 

Les islamistes radicaux sont habiles. Avec Ramadan et d’autres, ils ont su plaire à l’extrême gauche, dont solidaritéS, en affichant des positions anti-impérialistes et des élans révolutionnaires. Pour autant, faut-il prendre pour acquis qu’une charia réformée est acceptable ou adaptée à une réalité différente de la nôtre ?

Dans le numéro du 10 janvier 2013, vous fustigez très justement la campagne de l’Etat d’Israël qui présente toute critique de sa politique, en particulier en Palestine, comme de l’anti-sémitisme. Or la démarche de Zahra Ali n’est pas exempte de raccourcis du même ordre. Dialoguer avec celles et ceux qui, de l’intérieur d’une religion, développent la controverse à l’égard des textes sacrés est une bonne chose car il est vrai, comme l’affirme l’auteure, que le religieux peut servir de tremplin vers une lutte pour l’égalité et la justice sociale. Mais dans un dialogue, on est deux, à tout le moins. Et face à l’amalgame opéré entre féminisme occidental (ou féminisme dominant) et visées impérialistes ou colonialistes, le minimum, à notre sens, eût été d’accompagner la publication de cet article d’un commentaire soulignant qu’il mérite débat. 

Tout comme vous, nous entendons lutter fermement contre le racisme et contre toutes les formes de fondamentalismes. Aussi serait-il regrettable, surtout dans le contexte actuel, de faire l’impasse sur la défense de la laïcité – au risque de l’abandonner à l’extrême droite.

 

Rina Nissim et Jacqueline Heinen