Les limites de l'initiative AVS+

En mars dernier, l’Union syndicale suisse (USS) a commencé la récolte de signatures pour son initiative AVS+, visant une augmentation de 10 % des rentes du premier pilier. Si le renforcement de cette assurance est, à n’en pas douter, un objectif prioritaire pour toutes les forces progressistes du pays, le projet mis sur pied par l’USS présente d’importantes limites.

 

Passons sur l’iconographie mise en avant par la faitière syndicale pour promouvoir son projet, où le slogan «?Pour une AVS forte» côtoie un drapeau suisse, le tout dégageant une image de social-chauvinisme assez peu reluisante. C’est d’abord la méthode choisie pour mener à bien l’initiative qui est discutable : il s’agit de mener une campagne éclair fondée sur un « club » de militants qui s’engagent à récolter au moins 100 signatures en 100 jours. Ce faisant, l’USS individualise la campagne et réduit les chances que des collectifs de salarié·e·s s’en emparent sur les lieux de travail. Le texte est d’ailleurs conçu comme une initiative de « lobby­ing », destinée à faire pression sur les autorités pour infléchir quelque peu le projet du ministre socialiste Alain Berset. Ce dernier a en effet annoncé une réforme globale des deux piliers, impliquant de fortes attaques contre les travailleuses et travailleurs, notamment la mise en cause des aides à la retraite anticipée à partir de 58 ans et le report de l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans. Ce travail de lobbying, piloté par les sommets de l’appareil syndical, n’a guère impliqué les militant·e·s de base dans l’élaboration du projet : ainsi, à Genève, les membres ont pris connaissance du texte d’initiative élaboré par la direction début mars seulement, soit quelques jours avant son lancement officiel.

 

Objectif minimaliste

Du point de vue du contenu de l’initiative, une hausse de 10 % des rentes représente un objectif minimaliste : il faudrait en effet une hausse de 40 % pour aboutir à l’objectif fixé par la Constitution, qui stipule que la rente doit couvrir 60 % du dernier salaire. A cet égard, on peut regretter qu’une variante soumise au congrès de l’USS par le Syndicat des services publics (SSP), et proposant une hausse de 20 %, ait été écartée par l’assemblée des dé­lé­gué·e·s. Surtout, l’initiative ne concerne qu’une seule des trois composantes du premier pilier, en laissant de côté l’assurance-invalidité (AI) et les prestations complémentaires (PC). Cela s’accorde mal avec une idée sur laquelle la gauche ne devrait pas transiger, à savoir l’universalité de l’assurance de base et l’exigence du développement d’une véritable sécurité sociale. En particulier, le fait que les PC ne soient pas prises en compte dans cette initiative conduira, dans le cas où elle est acceptée en votation populaire, à ce que les plus petits revenus ne bénéficient pas de la hausse de 10 %. En effet, les PC constituent un « revenu d’appoint » destiné à compléter le revenu principal pour atteindre un seuil considéré comme le « minimum vital »?; si le revenu principal augmente, le montant des PC, dont une part est attribuée en nature (par exemple via la gratuité de la redevance Billag pour la radio et la télé), diminue d’autant. Sur les 175 000 personnes touchant des PC – chiffre par ailleurs en hausse de 15 % entre 2006 et 2011, ce qui traduit un processus d’appauvrissement structurel des retraités – la grande majorité ne touchera donc pas un franc de plus, dans la mesure où la hausse de l’AVS se traduira pour elle par une baisse proportionnelle des prestations complémentaires. Les femmes apparaissent ici comme les grandes perdantes, puisque 70 % des PC leur sont attribuées, ce qui s’explique par les discriminations salariales persistantes qui se traduisent par des rentes plus basses en moyenne pour les retraitées. Certes, il serait positif que les retraités les plus modestes bénéficient d’une plus grande part de revenu provenant de l’assurance sociale, aux dépens du complément issu de l’assistance : en effet, l’AVS peut être touchée à l’étranger, ce qui est notamment important pour les travailleurs et travailleuses immigrés désireux de vivre leur retraite dans leur pays d’origine?; en outre, les PC présentent le désavantage d’être allouées sous condition de ressource. Néanmoins, il est pour le moins problématique que le mouvement syndical propose une hausse généralisée des rentes qui exclut d’emblée les salariés les plus modestes.

Dernier problème, l’initiative, qui entrainerait des dépenses AVS en augmentation d’environ 3,6 milliards par an, ne précise rien concernant le financement de la mesure proposée. S’il suffirait d’augmenter la cotisation paritaire de 0,55 % pour assurer le financement d’une hausse des rentes de 10 %, il est à parier que ce n’est pas la solution que privilégieront les autorités en cas d’acceptation de l’initiative, dans la mesure où une hausse des cotisations représente un véritable tabou pour le patronat. Alain Berset a ainsi annoncé qu’il envisageait une hausse de la TVA pour financer l’AVS, impôt qui ponctionne la population indépendamment de sa capacité contributive et qui est donc antisocial par rapport aux cotisations paritaires. 

 

Hadrien Buclin