Ukraine

Ukraine : Sur le fil du rasoir

La fuite de l’ancien président Ianoukovitch et l’intérim assuré par le nouveau président du parlement, un proche de l’opposante Ioula Timochenko, semblent avoir ramené le calme à Kiev. Au bord du gouffre financier, le pays reste toutefois dans un équilibre très précaire.

Les commentateurs n’ont souvent voulu voir d’abord qu’un affrontement entre pro-européens et pro-russes, entre la rue et le pouvoir, dans les événements qui se sont succédé en Ukraine. Si cette dimension existe, elle n’a pas été le motif principal de ceux et celles qui, par centaine de milliers, se sont à un moment ou un autre trouvés sur la place Maïdan. Le principal facteur de mobilisation anti-Ianoukovitch, c’est Ianoukovitch lui-même, son enrichissement, celui, fulgurant, de son fils ainsi que de son clan. 

C’est aussi les pouvoirs de plus en plus arbitraires attribués à sa fonction, laissant entrevoir une présidence formatée sur le modèle russe, qui ont réussi à faire descendre dans la rue une opposition populaire, hétérogène, nourrie de colère contre la corruption, de revendications démocratiques et d’exaspération contre des inégalités sociales qui n’ont cessé de croître. La répression, brutale, a radicalisé encore plus cette situation.

 

L’hypothèque 

de l’extrême droite

La naïveté n’est pas de mise : les premiers rangs des barricades de la place Maïdan ont été occupés par des membres des milices d’organisation d’extrême droite, dont la plus « modérée » et sociale, « Svoboda » célèbre régulièrement les exploits de la division SS ukrainienne « Galitichina ». Son chef, Oleg Tiagnibog est pourtant considéré comme un « mou » par des groupes plus radicaux comme le médiatiquement célèbre « Secteur droit ». Dans la mobilisation populaire, la Maïdan de gauche a eu de la peine à se faire entendre, repoussée avec les anarchistes à la périphérie de la place, dans la Maison de l’Ukraine.

Cette présence de l’extrême droite dans les affrontements pèsera d’une manière ou d’une autre sur l’avenir de l’Ukraine et cela au-delà de son berceau historique de la Galicie orientale (anciennement polonaise).

 

Le programme churchillien de l’Union européenne

« Du sang, de la peine et des larmes », selon l’expression de Churchill passée à la postérité : voilà le programme de l’UE pour l’Ukraine, qui à travers sa proposition d’accord d’association signifie à ce pays qu’il se situera certes dans la sphère d’influence européenne, mais dans une lointaine banlieue. Poursuite des privatisations, cure d’austérité prolongée, main-d’œuvre et produits agricoles à bas prix, libéralisation radicale du marché du travail : voilà les exigences européennes et du FMI. Etranglée par sa dette à court terme, l’Ukraine est priée d’attendre des jours meilleurs, selon les mêmes recettes qu’en Grèce. De toute façon, l’UE n’a pas aujourd’hui de quoi venir matériellement au secours de l’Ukraine, mal remise des conséquences de la crise européenne de 2008. Les illusions des pro-européens risquent donc d’être douchées rapidement et froidement. Ce qui ne signifie cependant pas que l’Europe sera ainsi hors-jeu, car les oligarques ukrainiens ont besoin d’elle pour ne pas se retrouver dans un face-à-face déséquilibré avec Moscou.

Le rêve eurasien 

de Poutine

Jamais la Russie de Poutine ne renoncera volontairement a exercer son influence sur le pays. Non seulement parce qu’à la pointe sud de l’Ukraine, il y a la Crimée, avec le principal port d’attache de la flotte de la mer Noire de la marine russe, mais aussi parce que l’Ukraine est au cœur du dispositif stratégique que Poutine entend opposer à l’Europe. Ce redéploiement de l’influence russe à ses frontières à un nom : l’Union eurasienne. L’union douanière avec la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Arménie – vers laquelle Ianoukovitch avait fait un pas en contrepartie d’un prêt de 15 milliards de dollars et d’une baisse du prix du gaz – est un des sas d’entrée de l’Union eurasienne. Pour une Ukraine dont une partie de l’appareil productif reproduit encore la vieille division du travail existant dans l’ancienne URSS – particulièrement dans la région russophone du Donbass (Donestk, Dniepropetrosvk) – la rupture avec la Russie n’est simplement pas envisageable. Le voudrait-elle que sa dépendance énergétique actuelle l’en empêcherait. La chute de Ianoukovitch prive Moscou d’un allié dans la place, moins russophile que l’on a bien voulu le faire croire toutefois, et que Poutine méprisait. Reste à trouver de nouveaux relais parmi le personnel politique des oligarques ukrainiens. 

 

A la recherche 

d’un débat politique

Car voilà bien une des caractéristiques politiques fortes de l’Ukraine : les partis politiques sont d’abord des machines au service de l’un ou l’autre oligarque (dont Timochenko). Dans une constatation franche, quoique cynique, le député de Zaporija, Iaroslav Soukhyï, membre du Parti des régions, reconnaissait : « En Ukraine, le seul parti avec une idéologie est le Parti communiste : tous les bourgeois à la mer ! Les autres sont des structures de business avec des objectifs particuliers. » (Le Monde du 23.2.14). Voilà qui explique comment, ainsi que le relevait l’opposant de gauche Zakahr Popovych : « La mainmise de l’oligarchie sur la politique a eu comme conséquence un régime à zéro impôt pour les grandes entreprises. Tous les impôts sont payés par les travailleurs et par les petites entreprises ». Cet économiste demandait à la solidarité internationale d’agir pour « montrer que des Ukrainiens demandent la saisie des comptes en banque des oligarques en Europe […] montrer que ce régime à zéro impôt, ainsi que « l’oligarchisation » totale de la politique, ne sont pas acceptables […] ». (npa2009.org). Et si l’on regardait du côté des banques suisses ?

 

Daniel Süri