Etats-Unis

Etats-Unis : Vague de protestations après le meurtre d'un jeune noir par la police

Le 9 août, un policier blanc de la ville de Ferguson (Missouri), au cœur des Etats-Unis, a abattu par balles un jeune homme noir du nom de Michael Brown. De tels incidents ne sont pas rares aux USA : ils sont même fréquents et suscitent parfois, comme aujourd’hui, des manifestations, accompagnées de pillage et de vandalisme.

Ce qui fait de ce drame un cas particulier et focalise l’attention du pays sur Ferguson, c’est le niveau sans précédent de militarisation de la répression policière qu’a connue cette petite ville. Le peuple états-unien aime à penser que son pays est différent de la Syrie, de l’Egypte, de l’Ukraine ou de la Palestine, où l’on a récemment assisté à l’écrasement de manifestations pacifiques par la police et l’armée. Ferguson a ainsi forcé les Américains à se demander : sommes-nous vraiment si différents ?

La mort de Michael Brown n’a pas seulement entraîné des mobilisations à Ferguson, mais aussi une vague de solidarité dans des dizaines de villes nord-américaines. Ce décès a conduit à relancer le débat national sur le racisme, et à ouvrir une discussion nouvelle sur la politique gouvernementale de militarisation de l’équipement des forces de l’ordre – pour 37 milliards de dollars – des villes de toutes tailles, dans la foulée des attaques du 11 Septembre. Le gouvernement fédéral a armé les polices locales pour combattre le terrorisme, mais les critiques ont fait valoir que ces blindés, ces fusils et ces grenades ont été plutôt tournés contre les pauvres, les gens de couleur et les protestations sociales. Certains à gauche affirment même que la combinaison d’une surveillance policière croissante des ci­toyen·ne·s et d’une militarisation de la police est en train de transformer progressivement les USA en Etat policier.

 

Que s’est-il passé exactement à Ferguson ?

Le 9 août dernier, Darren Wilson, un officier de police, a abattu Michael Brown, un jeune homme de 18 ans. Les raisons de son tir invoquées par la police ne sont pas claires (vol «violent» d’une boîte de cigare ou violation du Code de la route…). La mort de Michael Brown a provoqué des protestations immédiates parmi les jeunes afro-américains, dont certaines ont tourné au vandalisme et au pillage. Le chef de la police de Ferguson, Tom Jackson, a déployé ses hommes, usant de tanks et de gaz lacrymogènes non seulement contre les pillards, mais aussi contre les jeunes ma­ni­festant·e·s noirs. Ces derniers ont répondu en lançant des cocktails Molotov sur la police. Comme l’a confié au New York Times Danny Lyon, un célèbre photographe du mouvement des droits civiques des années 50 et 60, plus que les confrontations entre ma­ni­festant·e·s et policiers de cette époque, ces scènes évoquaient Soweto et l’Afrique du Sud de l’apart­heid.

Pourquoi Ferguson, une petite ville aux environs de Saint Louis (Missouri), grande agglomération sur les bords du Mississippi ? Cette ville a une population de 22 400 ha­bi­tant·e·s, dont 53 % sont afro-­américains et 45 % blancs. Le revenu médian par foyer y est de 37 134 $, inférieur donc au revenu médian national qui est de 45 000 $. 22 % des habitants de Ferguson vivent dans la pauvreté. Alors que Ferguson est une petite ville généralement tranquille, Saint-Louis (Missouri) et Saint-Louis Est (Illinois) ont une longue histoire de ségrégation, de discrimination raciale et de violence. La région de Saint-Louis a été récemment durement frappée par la fermeture de nombreuses entreprises industrielles, dont deux fabriques automobiles (Chrysler) dans la cité voisine de Fenton (Missouri). La fermeture de ces usines a privé l’économie régionale de 15 milliards de dollars et supprimé 6400 emplois. Alors que les usines commençaient à fermer dans la région de Saint-Louis durant les dernières décennies, des Afro-­américains ont commencé à quitter cette agglomération pour migrer vers ses cités périphériques, comme Ferguson.

 

Un racisme endémique

Tandis que la population de Ferguson devenait de plus en plus noire, les pouvoirs publics y demeuraient presque totalement blancs. Ainsi, alors que plus de la moitié de la population de Ferguson est noire, seul un membre du Conseil municipal l’est et la police demeure à 94 % blanche. Les autorités scolaires sont blanches et ont récemment suspendu un superintendant noir. La suprématie blanche de Ferguson ne représente pas la nouvelle population de la ville, qui est jeune, pauvre et noire. La combinaison de la pauvreté, du chômage et du manque de représentation des Afro-américains parmi les autorités municipales, à laquelle il faut ajouter un racisme endémique envers les Noir·e·s, donne le contexte du tir mortel de la police sur Michael Brown.

L’establishment politique a réagi rapidement aux événements de Ferguson. Le président Barack Obama a exprimé sa sympathie à la famille de Brown, appelant la police à faire preuve de transparence, tout en condamnant le vandalisme, les pillages et la violence. Le gouverneur démocrate du Missouri, Jay Nixon, a chargé la police de l’Etat de remplacer la police locale pour assurer la sécurité à Ferguson, une décision qui a été saluée par la population afro-américaine de la ville. Le révérend Jesse Jackson, figure historique du mouvement des droits civiques, étroitement lié à la direction du Parti démocrate, s’est rendu rapidement à Ferguson pour y prendre la tête d’une manifestation de protestation. Jackson était réputé pour son rôle de dirigeant, mais aussi de modérateur, dans le combat pour les droits civiques.

Pour autant, les autorités et les politiciens ont été incapables jusqu’ici de mettre un terme aux manifestations de protestation à Ferguson et au développement d’une vague de mobilisations solidaires au niveau national. Les jeunes Noir·e·s états-uniens et leurs alliés latinos et blancs descendent partout dans la rue, indignés par cette dernière manifestation d’injustice raciale et par la politique gouvernementale de militarisation de la police.

 

Dan La Botz