« Pour un Revenu de base inconditionnel »

« Pour un Revenu de base inconditionnel » : solidaritéS défendra un « OUI critique » à l'initiative fédérale

Réunie le samedi 30 août à Lausanne, la Conférence interrégionale de solidaritéS a décidé d’appeler à voter oui à l’initiative populaire « Pour un revenu de base inconditionnel ». Après avoir écarté le non et le oui pur et simple, 2/3 des délégué·e·s présents ont opté pour le oui critique contre un tiers qui s’est prononcé pour le vote blanc. Notre mot d’ordre a été adopté à l’issue d’un long et riche débat, préparé par trois textes de position, respectivement en faveur du oui critique, du vote blanc et du non. La position du oui pur et simple a aussi été défendue oralement par un camarade.

La majorité des par-ti-ci-pant·e·s a considéré que nous partagions certains objectifs fondamentaux avec les ini-tiant·e·s, en particulier celui de défendre le droit inconditionnel à un revenu permettant de vivre dignement et de participer à la vie publique. En revanche, nous avons d’importantes réserves sur la traduction de cette revendication légitime qu’ils·elles préconisent, en particulier la distribution individuelle d’un revenu en espèces, auquel nous opposons l’allocation collective de services publics étendus et gratuits, ainsi que la mise en place d’une sécurité sociale digne de ce nom, qui implique une redistribution importante de revenus en faveur de l’écrasante majorité de la population, aux dépens du capital et de ses actionnaires.

Nous publions ici le papier présenté par les partisans du OUI critique, même si seule la consigne de vote a fait l’objet de la décision de notre assemblée. Par ailleurs, notre Conférence nationale a aussi décidé que, même si le oui critique est la position de solidaritéS, notre journal ouvrira ses colonnes à des opinions différentes sous sa rubrique « Opinion ».

Notre OUI critique à l’initiative fédérale « Pour un revenu de base inconditionnel » se fonde sur les trois raisons suivantes :

 

 

1) L’aspiration légitime de chacun·e à disposer des moyens de satisfaire ses besoins fondamentaux par l’allocation universelle d’un revenu en espèces pose de nombreux problèmes. Celle-ci tend en effet à individualiser et à marchandiser des prestations que les services publics subventionnés et la prévoyance sociale ont tendu jusqu’ici à distribuer sur une base collective et largement hors marché (gratuitement ou à un prix très réduit). Nous défendons la gratuité ou un prix très réduit de prestations de base en nature comme le logement, la formation à tous les niveaux, les soins médicaux et hospitaliers, les transports, l’eau et l’énergie correspondant à un bon usage des ressources naturelles. Parce qu’elle répond à des besoins collectifs, ressentis par tous·toutes, elle facilite la mobilisation au coude à coude des tra­vail­leurs·euses et des chô­meurs·euses, mais aussi des ayants-droits de la prévoyance sociale et des us­ager·e·s des services publics, quelle que soit leur origine ou leur nationalité. Elle permet aussi de mieux résister aux sirènes de la droite et de l’extrême droite qui ne cessent de dénoncer les « abus ». La distribution sans condition d’un revenu de base en espèces prêterait mille fois plus le flanc à la chasse aux « pro­fi­teurs·euses », en particulier étranger·e·s. Combien d’années de résidence légale faudrait-il exiger des ayants-droits, suscitant par là une inégalité de plus entre Suisses et étranger·e·s ?

 

 

2) Dans la société capitaliste, le travail est réduit au statut de marchandise que les détenteurs du capital exploitent pour s’enrichir : c’est pourquoi il est aliénant. Cependant, avec une autre finalité que l’accumulation du profit privé, dans la société écosocialiste pour laquelle nous luttons, il devrait permettre d’exprimer le potentiel créateur de cha­cun·e tout en produisant les richesses matérielles et immatérielles dont la société a besoin. Ceci dit, même sous sa forme salariée, le travail reste un moyen d’intégration et de reconnaissance sociales. C’est pourquoi nous sommes pour une réduction massive du temps de travail (travailler moins pour travailler tous·toutes), pour la création d’emplois publics socialement et écologiquement utiles, ainsi que pour la fixation d’un salaire minimum légal d’au moins 4000 francs par mois. Certains par­ti­san·e·s de l’initiative oublient un fait primordial : le travail est seul producteur de richesses. Il serait ainsi impossible de continuer à servir un revenu de base à toute la population si une part croissante de celle-ci décidait de sortir du marché du travail. Ceci dit, nous sommes favorables à un revenu de base inconditionnel en espèces pour les re­trai­té·e·s et les invalides (notre proposition de fusion de l’AVS et du 2e pilier permettrait de garantir une pension minimale de 3500 francs par mois pour tous·toutes), les jeunes en formation (revenu d’autonomie), ainsi que garantir un revenu aux professions de la culture. Nous sommes en effet conscients qu’il s’agit d’un salaire indirect ou d’un salaire social (financé par les cotisations sociales ou les impôts, soit, d’une façon ou d’une autre, par le travail).

 

 

3) Quelle que soit la forme de l’allocation universelle choisie (en espèces ou en nature), la question de son montant est décisive si l’on entend lutter contre les inégalités sociales, qui ne cessent de croître depuis bientôt 40 ans. En effet, au regard de l’accumulation croissante de richesses par une petite minorité de privilégiés (augmentations massives des dividendes des gros actionnaires, des revenus des top-­managers, en résumé des revenus du capital), dans une période de crise et d’instabilité économique et sociale, l’aspiration à un revenu garanti qui permette à cha­cun·e de satisfaire ses besoins élémentaires paraît particulièrement légitime. Le fait que l’initiative ne précise pas son montant donne cependant un mauvais signal, même si l’argumentaire des ini­tiant·e·s parle de 2500 francs par mois. Les moyens de financer ce revenu de base proposés sont aléatoires et problématiques, sans compter que son montant est extrêmement faible, inférieur au minimum de l’aide sociale dans certains cantons. Pour l’ensemble de ces raisons, nous préférons défendre l’élargissement du champ des services publics gratuits et de la prévoyance sociale (vers une véritable sécurité sociale), ce qui suppose un financement accru couvert par l’augmentation des impôts directs sur les bénéfices, les hauts revenus, le capital et la fortune.

 

Nous n’avons ni lancé ni fait signer cette initiative, parce que son libellé ne nous satisfaisait pas. Notre consigne de vote n’est donc pas facile à arrêter : elle ne dépend pas que du contenu de cette proposition, mais aussi des milieux qui la portent et s’y opposent, du débat qu’elle suscite et de la dynamique du résultat probable du scrutin. Les opposants les plus virulents et les plus visibles à cette initiative sont les défenseurs du capitalisme dérégulé, producteurs d’injustices, d’inégalités, de misère et de destructions. Ce sont aussi nos adversaires numéro un. Les ini­tiant·e·s sont majoritairement des partisans d’une vie simple et économe en énergie. C’est avec elles et eux que nous voulons discuter de la construction d’un avenir vivable et solidaire. Le débat va tourner autour de la montée du chômage et de la précarité, et l’échec de cette proposition serait interprétée comme un plébiscite en faveur d’un marché du travail dérégulé, raisons pour lesquelles un OUI critique s’impose.

Les ini­tiant·e·s ont choisi de ne pas répondre à un problème de société par une solution collective, valable pour tous-toutes, mais de permettre l’opting out. Leur approche ne s’explique pas seulement par la dégradation des rapports de force sociaux, mais témoigne aussi de l’influence croissante du libéralisme – à défaut de proposer un projet d’émancipation collective, laissons cha­cun·e faire ses propres choix. La radicalité se réfugie dans un apparent réalisme : le travail salarié aux consuméristes qui ne se contentent pas d’un revenu de base. Mais est-ce une raison pour refuser d’entendre l’anticonsumérisme qui anime ces secteurs, en majorité jeunes, de la population ? Notre oui mais est un engagement à mieux débattre avec eux, sans opportunisme, mais en leur montrant que nous partageons leur refus de l’ordre actuel des choses ?

 

En conclusion

 

La Conférence interrégionale de solidaritéS appelle à voter oui à l’initiative fédérale « Pour un revenu de base inconditionnel ». Elle adopte cependant un point de vue critique en raison du choix des ini­tiant·e·s de privilégier une allocation en espèces, et de ne préciser ni son montant ni son mode de financement dans le texte constitutionnel. Notre oui mais à cette proposition, combattue par le patronat et toute la réaction helvétique, devrait surtout nous donner l’occasion de dénoncer la précarité croissante du salariat et la pression que la crainte du chômage fait peser sur l’ensemble des couches populaires, tout en défendant le droit inconditionnel de cha­cun·e à satisfaire ses besoins fondamentaux par une extension du champs des services publics gratuits et de la prévoyance sociale. Il exprime aussi notre volonté de débattre, en particulier avec les secteurs de la jeunesse qui refusent le capitalisme sauvage et regardent l’introduction d’un revenu de base inconditionnel comme un espoir, pour leur proposer d’aller au-delà de cette première réponse.

 

Jean Batou, Jean-Michel Dolivo & Heni Vuillomenet