Derrière l'étendard culturel «critique», la mesquinerie au quotidien

« C’est ici un théâtre, un théâtre ouvert, un théâtre engagé sur les questions du monde. Alors si ceux qui font ce théâtre s’insurgent, c’est que le lien manque brusquement entre ce qui est défendu et ce qui se passe concrètement.»

 

C'est ainsi que les ré-si-dent·e·s du Théâtre de Saint-Gervais – ceux et celles que Philippe Macasdar, directeur de cette institution depuis vingt ans, nomme « ses ambassadeurs » – dénonçaient en septembre dernier la perte de sens d’un haut lieu de la culture démocratique et participative à Genève. Les résident·e·s mettaient alors le doigt sur les enjeux liés à la politique culturelle de la direction du Théâtre. 

Car si la question est syndicale (licenciements abusifs, avertissements, démissions, harcèlement du personnel), elle est aussi partie prenante de la politique culturelle. Parce qu’on ne peut pas séparer la sphère des créateurs et créatrices de celles des collaborateurs et collaboratrices, des salarié·e·s, qui payent de leur personne chaque jour pour que les spectacles aient lieu, en particulier dans cet espace-là. Sauf à dire, bien entendu, comme le laissait entendre Philippe Macasdar, que le monde du spectacle est un « terrain particulier », à part, en quelque sorte… (Le Courrier, 3.09.2014.)

 

 

« Ici on travaille ! » 

 

Le 3 février dernier, le syndicat SSP convoquait une conférence de presse, à la suite du licenciement, le 28 janvier, d’Ignacio Llusia, représentant de la commission du personnel. Arianne Bailat, secrétaire SSP, y soulignait un bilan humain catastrophique : pour un effectif de 16 personnes, 3 ont été licenciées, dont 2 membres de la commission du personnel; 9 avertissements ont été prononcés, et 7 démissions présentées en deux ans. Depuis décembre 2013, la commission du personnel, alors nouvellement élue, n’a eu de cesse de dénoncer la dégradation des conditions de travail et la gestion pour le moins brutale et autoritaire de Bernard Moreau, administrateur nommé en septembre 2012. Or, selon Philippe Macasdar, il ne s’agirait là que de l’effet d’une incompréhension des salarié·e·s de Saint-Gervais de méthodes venues de «grandes institutions françaises» (Le Temps, 3.09.2014), un choc des civilisations, pour ainsi dire. 

Et c’est toujours sur le terrain de la « culture », en guise de réponse au personnel que, le 5 février, Macasdar et Moreau commettaient un papillon aux relents patronaux d’un autre âge portant le sous-titre : «Ici on travaille!». Et la direction du Théâtre de dénoncer une fois de plus ceux-celles qui n’auraient «pas saisi les enjeux d’un exercice exigeant et stimulant de nos métiers» en opposant une «action syndicale pour le moins virulente» à «la satisfaction du public», selon une méthode en vogue pour diviser les usagers, les usagères et les salarié·e·s. Comment pourrait-on mieux affirmer une conception administrative de la production culturelle, vidée ainsi de sa substance sociale ? C’est pourtant cette direction qui bénéficie (encore) du soutien actif du Conseil de fondation « Saint Gervais Le Théâtre », présidé par la libérale-radicale Renate Cornu, ainsi que de l’appui passif de Sami Kanaan, maire socialiste de la ville de Genève en charge de la culture. Interpellé depuis des mois, ce dernier n’a en effet rien entrepris ou presque pour venir en aide à celles et ceux qui font vivre au quotidien cette institution pourtant subventionnée par les contribuables. 

Gageons que la vieille « Maison des Jeunes et de la Culture » de la rue du Temple, dont les murs résonnent encore des cris de colère et des rires de celles et ceux qui en ont fait, depuis son inauguration, l’un des hauts lieux de la création populaire à Genève, n’a pas dit encore son dernier mot! Il est vrai que cela dépend surtout de nous, les vrais amis de Saint-Gervais. 

 

Stefanie Prezioso