Les colons: la privatisation de l’occupation

Les colons: la privatisation de l’occupation

A Pâques 2003, une année après la première mission civile suisse organisée par le Collectif Urgence Palestine, nous sommes partis 12 militant-e-s genevois et neuchâtelois en Palestine pour la 9ème mission civile suisse.


L’expérience acquise par les missions internationales qui se relaient chaque 15 jours depuis deux ans principalement en Cisjordanie, nous a permis de réaliser deux missions d’une (petite) semaine chacune, la première à Yanoun à 15 km de Naplouse au Nord de Ramallah et la seconde à Hebron, au sud de Jérusalem.


La plupart d’entre nous étaient avertis. Les témoignages des différentes missions et les reportages depuis la 2ème Intifada nous avaient appris que nous ne retrou-verions pas la Palestine que nous avions connue notamment lors de la première Intifada, à la fin des années 80. Le choc est rude, moins à cause des check-points, des bâtiments et des maisons détruites, des vergers saccagés, des terres spoliées, le visible depuis la Suisse, mais à cause de ce qui n’est visible que sur place: l’humiliation quotidienne, la tristesse sur les visages, la colère rentrée dans les cœurs, la rudesse exaspérée des enfants, le désenchantement face aux dirigeants et à leurs politiques, les cris pour une lutte désespérée qui sonnent souvent plus Hamas que Fatah.


Les Palestinien-ne-s se sentent seuls. Abandonnés par la communauté internationale, laissés pour compte par les dirigeants arabes. Seul-e-s face à I’armée israélienne occupante, face à la société civile israélienne qui plébiscite le mur en construction, seuls face aux colons fers de lance de l’annexion rampante et arrogante depuis les accords d’Oslo. Nous avons ressentis a contrario cette solitude, par l’importance exagérée que représente sur place notre présence solidaire et internationaliste en tant que mission civile.

Yanoun revit, mais pour combien de temps?

Yanoun était un village idyllique, avec ses maisons blanches, ses vergers d’oliviers, nous en avons vu qui date du temps de Jésus, ses terrasses millénaires où paissent les troupeaux de mouton, ses champs de blé. Mais les collines qui l’entourent, lui ont été volées par les colons, depuis 6 ans, petit à petit. Les bergers, les enfants, nous-mêmes les visiteurs, nous ne pouvons plus grimper les 10 minutes qu’il faut pour atteindre le sommet et voir les autres villages, la vallée du Jourdain et au loin la Jordanie. Yanoun est désormais encerclé par les colons. Des miradors et des phares polluent les collines. En été 2002, lassés de voir leurs bergers isolés blessés lâchement par des bandes de colons, vaincus par les attaques contre leur village, sabotage de l’eau et de la génératrice électrique, le village s’est replié sur la petite ville voisine.


Un appel à la solidarité internationale en septembre 2002, pour accompagner les villageois dans leur vie quotidienne, a permis le retour progressif des familles. Yanoun revit grâce aux missions qui se relaient dans le village depuis lors. La présence des internationalistes a stoppé pour l’instant les attaques des colons. Les femmes et les enfants sont moins angoissés. L’école a repris. Des projets de développement naissent: la route de pierre est en réhabilitation, une ligne électrique est en construction. Précisément la tâche de notre 9ème mission était de veiller jour et nuit auprès des machines de chantier et des ouvriers pour que les colons n’attaquent pas. Il nous fallait aussi accompagner les bergères avec leurs moutons, afin qu’elles osent accéder à des parcelles situées à peine à 200 mètres du village. /P>

Une nuit des voitures de colons sont venues terroriser le village, rodéos angoissants, mais sans suite. Un jour, le samedi, une quinzaine de colons sont apparus menaçants, armés, avec leurs chiens, sur la colline. Le maire a pris son portable pour signaler la menace à l’armée israélienne.


Humiliant pour les paysans palestiniens de faire appel à l’armée d’occupation pour être protégés tant bien que mal des colons. Mais ils ont le courage et la constance de la résistance, seuls, désarmés, debout sur leurs terres ancestrales. A nous de continuer à les accompagner et les protéger de notre présence solidaire.

Hébron: les maisons du quartier Al Mahawer ne sont pas tombées. Pour combien de temps?

La ville est sous couvre-feu partiel depuis de long mois déjà. Pour y accéder depuis Jérusalem, nous avons dû abandonner par deux fois les taxis collectifs et franchir à pied les talus de terre barrant les routes, avec les vieillards, les enfants, les femmes enceintes, persécutés sur leur terre. Pourtant nous sommes à Hébron H1, 130000 personnes sous autorité palestinienne depuis les accords d’Oslo. Tous les bâtiments de l’autorité d’Hébron ont été dynamités il y a 6 mois, les ordinateurs, les dossiers, le travail des palestiniens est resté sous les décombres.


Pour arriver au quartier Al Mahawer qui jouxte à la fois la vieille ville et la colonie Kyriat Arba, nous devons pénétrer au cœur d’ Hébron H2, sous administration israélienne. Nous avons dû faire des détours insensés, car les israéliens ont coupé avec des blocs de béton arbitrairement toutes les rues accédant au centre historique, morcelant ainsi Hébron H1 pour empêcher au maximum les déplacements de la population. Le secteur H2, à l’origine 40000 palestiniens et 500 colons qui ont installé 4 petites colonies près du Tombeau des Patriarches, est lui sous couvre-feu depuis deux ans. Les palestiniens de la vielle ville ont dû progressivement déserter leur maison, leurs magasins. Seuls les vieillards, les femmes et les enfants ne sont pas pourchassés par l’armée (2000 hommes) qui protégent les 500 colons. L’accès à la mosquée d’Ibrahim est interdit à quiconque. Le sociocide s’attaque ici au cœur des hébronites.


Le samedi 19 avril, après discussion avec l’«International Palestine Youth League» nous décidons d’accéder à leur demande de tenter d’empêcher par notre présence la démolition de deux maisons du quartier Al Mahawer située à 100 mètres de la grande colonie Kyriat Arba (6000 colons). La famille Dana est victime d’une punition collective, absurde, suite à la tentative d’intrusion dans la colonie le 5 avril par un palestinien qui aurait utilisé le passage entre les deux maisons. Nous nous installons durant une semaine dans les maisons promises au dynamitage. Nous vivons avec la grande famille Dana (60 personnes) le quotidien du couvre-feu, des jets de pierre de la part des colons, des tirs de l’armée contre un enfant qui nous apporte de l’eau, de la visite arrogante de l’armée jusqu’à trois fois par jour pour apeurer les enfants, pour nous intimider.

Merci de votre présence…

Nous vivons aussi l’hospitalité généreuse d’une famille hébronite commerçante moyennement aisée, qui a tout perdu avec la répression et le couvre feu, qui a vu tous ses hommes et adolescents au moins une fois emprisonnés par l’occupant.


Nous vivons avec eux l’espoir que les maisons seront épargnées et ainsi le quartier lui-même préservé pour un temps encore de l’annexion rampante des colons.


Nous avons surtout appris une leçon de résistance, jour après jour, pour ne pas céder un pouce de terre. Une résistance désarmée, pleine d’intelligence parce que par exemple lorsque l’on arrache ton verger vieux de 600 ans, comme ce fut le cas de la famille Dana le 7 mars à 4h. du matin, tu ne dois pas crier ou faire le geste de trop, tu dois préserver l’essentiel: ta famille, tes maisons, le quartier.


L’action légale avec les avocats israéliens solidaires, la présence des camarades de la mission française qui nous ont remplacés lorsque nous sommes partis le 25 avril, l’interpellation des autorités suisses à notre retour pour qu’elles interviennent auprès du TIPH (présence temporaire internationale à Hébron) a permis de sauver les maisons jusqu’à aujourd’hui. Mais rien n’est acquis. A nous de continuer à harceler nos autorités et la communauté internationale pour protéger les palestiniens. Comme nous l’a dit le patriarche de la famille Dana, «merci de votre présence, nous savons qu’il y a sur cette terre des gens qui savent où est la justice».


Gérald FIORETTA