D'une impulsion à un front large

D'une impulsion à un front large : Construisons le chemin

En juillet 1937, après de fortes mobilisations des travailleur·euse·s et malgré les réticences de leurs bases, les principaux syndicats de la métallurgie s’assoient à la table des négociations en compagnie de représentants du patronat pour sceller les fameux accords de la «  paix du travail  ». Ces accords, qui prévoient de renoncer aux mesures de lutte lors de futurs conflits de travail, consacrent la vision majoritaire des dirigeant·e·s politiques et syndicaux du mouvement ouvrier en Suisse en posant les bases durables d’une collaboration entre centrales syndicales et patronat, délaissant définitivement la possibilité d’une orientation vers un syndicalisme combatif.

Environ 80 ans plus tard, la «  paix du travail  » est encore un concept puissant qui détermine fortement la manière de travailler et les orientations idéologiques des syndicats. Ainsi, le  11 septembre dernier, Paul Rechsteiner (USS) et Corrado Pardini (UNIA), rencontraient les représentants du patronat de l’industrie pour mettre en route un pacte national visant à protéger l’industrie suisse. Alors que l’abandon du taux plancher par la BNS sert largement de prétexte aux patron·ne·s pour justifier des baisses de salaires, des augmentations de temps de travail ou encore des licenciements dans le secteur de l’industrie, cette séance se concluait par une déclaration de Pardini qui appelait de ses vœux la signature de «bonnes CCT et d’esquisser des idées novatrices pour le renforcement de la place industrielle. »

Cet exemple parmi d’autres montre à quel point l’abandon d’un syndicalisme combatif est profondément ancré dans les modes de faire et de penser syndicaux.

 

Dans ce tableau bien sombre  et parfois désespérant, est apparue une lueur qui a attiré notre attention. Tout au bout de la Suisse, les différents syndicats se sont regroupés et ont posé sur le papier un manifeste syndical anti-austérité. Cet appel à la création d’un front large capable de s’opposer aux mesures néolibérales toujours plus fortes représente un nouvel axe de travail combatif.

Alors qu’en Suisse nous connaissons une accélération sans précédent des attaques contre les conditions de vie de la majorité des travailleur·euse·s, les partis dits de gauche et les syndicats sont parfois déboussolés. Face à ces attaques qui se concentrent sur les assurances sociales via le Plan Berset, sur le démantèlement des conditions de travail via l’abandon du taux plancher ou sur la destruction des services publics via la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE 3), les partis de gauche et les syndicats peinent à trouver une manière de riposter à cette aggravation criante de l’inégalité de la répartition des richesses.

La CGAS (communauté genevois d’action syndicale), en se positionnant de cette manière, offre deux possibilités extrêmement importantes de modifier cet état de fait. La première est de renouer avec un syndicalisme combatif qui remet au centre de ses préoccupations la défense des salarié·e·s. Pour que cette possibilité se concrétise, les syndicats doivent radicalement changer de mode de faire et doivent renoncer à un syndicalisme d’accompagnement qui valide des plans sociaux en défaveur des travailleur·euse·s et qui signe des CCT vides de contenu. Ce n’est qu’en s’inscrivant dans une action syndicale radicale qui dénonce les offensives néolibérales, en s’appuyant sur des collectifs militant sur les lieux de travail, que les pistes de la CGAS pourront devenir une réalité de terrain.

La deuxième perspective qu’ouvre la publication de ce manifeste, et qui doit être comprise comme complémentaire à la première, est la construction à l’échelle nationale d’un front uni entre les secteurs les plus combatifs des syndicats et les partis de la gauche de la gauche, contre l’austérité. Ce front s’articulerait autour de trois principaux points : à savoir la lutte contre le dumping salarial, contre la réforme des retraites et contre la réforme de l’imposition des entreprises. Avant de proposer des alternatives politiques crédibles à ce capitalisme débridé et à ces politiques néolibérales, nous devons déjà être capables de pouvoir dire NON aux attaques qui cherchent à détruire les conditions d’existence de la majorité de la population. Le manifeste nous offre cette opportunité et nous devons la saisir.

 

Ainsi, si l’impulsion est genevoise, le chemin doit nous mener à Berne. En nous appuyant sur ces deux perspectives ouvertes par l’appel syndical, nous devons pouvoir porter, syndicats et partis de gauche, un projet de résistance social et syndical sur les lieux de travail, dans la rue et dans les parlements. Ce n’est que par l’extension de ce front anti-austérité dans les entreprises et au-delà des frontières cantonales que nous pourrons réellement peser sur les choix politiques de ce pays. Mettons-nous en route et construisons ce front.

Pablo Cruchon