Mobilisation populaire démocratique contre état d'exception libéral
Mobilisation populaire démocratique contre état d´exception libéral
«Toute manifestation ou tout rassemblement sur la voie publique sont interdits sur lensemble du Territoire de la République et canton de Genève, avec effet immédiat.» tels sont les termes de larrêté pris le 5 juin par le Conseil dEtat genevois. Par cet acte liberticide, sans précédents à Genève depuis la Deuxième guerre mondiale, le gouvernement cantonal récidivait. Le mardi 3 juin déjà, il avait imposé un diktat analogue, suspendant sans limite dans le temps un droit démocratique essentiel.
«La récréation est terminée»1 osera déclarer à ce propos le Conseiller dEtat vert Robert Cramer, relayant la position des libéraux genevois, qui se présentent fièrement comme les pères spirituels de cette décision. Elle vient après coup leur offrir cette suspension des libertés dont ils rêvaient éveillés en défendant becs et ongles, devant le parlement genevois, linterdiction pure et simple de la grande manif anti-G8 du dimanche 1er juin, dans les semaines qui lont précédé.
La pression du rapport de forces international les avait empêché dassouvir jusquau bout ces phantasmes anti-démocratiques. Mark Muller, secrétaire de la Chambre genevoise immobilière et député libéral de choc, a exprimé cette frustration insupportable en arguant, quà Genève, nous aurions «vécu ces derniers mois sous un régime de terrorisme intellectuel de la gauche»2.
Interdire 100 000 personnes?
Pierre Weiss, éditorialiste patronal et député libéral, aurait dailleurs aimé que la confrontation vienne bien plus tôt. Parlant des «blocages» pacifiques au matin du 1er juin, qui ont coupé les cinq ponts de Genève pour contribuer à «isoler» symboliquement Evian, na-t-il pas dit: «Dimanche, il y a eu trop de tolérance, envers ces sit-in qui bloquaient les ponts [ ] Il fallait soit intervenir, soit interdire la grande manifestation.»3
««Interdire la grande manifestation» na pas été possible, on sest donc contenté dabord dune gesticulation policière mimant la Guerre civile. Rappelons-que dans la région, sil y a eu 100000 manifestant-e-s, il y a eu aussi quelque 30 000 hommes impliqués dans le dispositif militaro-policier mis en place pour accueillir les «maîtres du monde» et pour garantir soi-disant la propriété contre les ravages des altermondialistes présentés comme assoiffés de destruction.
A qui profite le crime?
Cette prédiction concernant la casse a dailleurs été faite avec tant dinsistance par les milieux libéraux, quelle devait sans doute saccomplir. Dans la nuit précédant la grande manifestation, le centre de Genève a été victime d«un véritable raid» selon les termes du chef de la police4 qui affirme que, dans les Rues-Basses, ce sont seulement «une dizaine de policiers qui se sont trouvés confrontés à une centaine de casseurs». Lincapacité policière a maîtriser cette situation pose question. Olivier Filleule, sociologue et professeur à lUni de Lausanne, présent sur le terrain à Genève samedi soir, émet à ce sujet une hypothèse.
Selon lui après la manif réussie du jeudi 29 mai à Lausanne «du côté des pouvoirs publics, il est clair que labsence de débordement narrangeait pas les choses [ ] je vois là dit-il lune des explications possibles de lattitude des forces de lordre samedi soir à Genève.» Et encore: «Tout a été fait pour que ça tourne mal. Il y a eu au mieux un cafouillage et au pis disons que cela a pu servir certains intérêts politiques.»5
Lémeute qui na pas eu lieu
Cest sous langle du «cafouillage» encore essentiellement au sein du Conseil dEtat et du côté de la conseillère dEtat en charge du Département de Justice et police que la presse présentera les évènements de lundi, qui ont vu des centaines de manifestant-e-s protestant contre la répression policière être «capturés» par un dispositif policier disproportionné et séquestrés abusivement pendant des heures, jusquà lintervention opportune de Charles Beer, nouveau conseiller dEtat du PS, qui sest rendu sur le terrain pour déserrer létreinte policière. Il était temps, puisque les manifestant-e-s cernés par un impressionnant dispositif policier, avaient été copieusement arrosés de gaz et de balles en caoutchouc
Le Matin titrera à ce sujet «Le gouvernement disjoncte»6 et dénoncera le fait que celui-ci et Madame Spoerri en particulier, libérale en charge de la police se soit montré «incapable de gérer une situation somme toute assez calme» et une manif à «lambiance bon enfant.» Mais, là aussi, on peut se poser la question. Incompétence? Il y a une autre réponse possible, on aurait voulu, ce soir là fabriquer une émeute, on ne sy serait pas pris autrement.
Police contre manif fantôme
Cette «émeute» là qui na pas eu lieu aurait utilement servi de prétexte à linterdiction de manifester du lendemain. En létat, cette interdiction, quaucune voix dissonante au sein du gouvernement cantonal nest venue contester, est apparue comme particulièrement injustifiée. Elle la été dautant plus, que les policiers «lâchés» pour faire respecter ce diktat antidémocratique, nont guère trouvé d«adversaires» en face deux. La Tribune a ainsi pu titrer «Excédée la police genevoise se défoule sur les badauds»7 et documenter ce fait lamentable, comme les autres médias dailleurs.
Interrogé au sujet de cette débauche de violence policière apparemment gratuite, qui a vu des policiers cagoulés la barre de fer aux mains dans nos rues, le chef de la police genevoise Cudré-Mauroux, a répondu avec la franchise qui le caractérise quil «fallait une intervention en force pour terminer cette spirale infernale de manifs!»8
Pour en finir
Cest là sans doute la clé de laffaire. Les bourgeois voulaient «en terminer» symboliquement avec la mobilisation anti-G8 par un acte qui démontre que la droite patronale et néolibérale «reprenait la main» en se montrant capable de punir cette Genève qui «devient la Ville de lidéologie antimondialiste»9. Ce sont les termes du président de la Confédération, lultralibéral Couchepin, fustigeant la décision de Christian Ferrazino, élu indépendant sur nos listes, depuis peu maire de Genève, qui avait osé faire flotter officiellement le drapeau multicolore de la Paix sur le Pont du Mont-Blanc!
Mais, malgré la défection et lhostilité des Verts, ainsi que labsence prudente des socialistes, le Forum social lémanique (FSL) na pas voulu de cette «clôture» là. Il a appelé une manifestation en fin de semaine, pour défendre les libertés démocratiques attaquées, protester contre les abus policiers et réclamer la démission de la Conseillère dEtat en charge de la police, Madame Spoerri! Cette mobilisation visait aussi à «terminer» cette semaine de manifestations en réaffirmant dans la pratique le droit à lusage de lespace public pour y développer et y appuyer un discours critique.
A cet appel à manifester le 6 juin, le gouvernement cantonal a répondu par son nouvel Arrêté, réaffirmant linterdiction de manifester, et par lannonce que le rassemblement du FSL serait dispersé par la force, espérant manifestement ainsi «garder la main» soit par une capitulation du FSL, soit par lentraînement de celui-ci sur le terrain de la violence quon cherchait à lui imposer.
Assemblée populaire à Saint-Gervais
Pari perdu pour les bourgeois! Malgré linterdiction, ce sont environ un demi-millier de manifestant-e-s qui se sont rassemblé-e-s vendredi 6 juin à Plainpalais autour de la «Pierre» commémorant les évènements du 9 novembre 193210. Le rassemblement «illégal», déterminé et pacifique, a duré près dune quarantaine de minutes sur la Plaine et les participant-e-s se sont ensuite rendus ensemble à la salle du Faubourg pour y débattre en assemblée populaire de la suite de la mobilisation.
Ils ont décidé de se donner le temps de travailler à une nouvelle manifestation avec un soutien le plus large possible pour la liberté dexpression, pour le droit de manifester et pour la démission de Micheline Spoerri. Ils ont également décidé la production dun «livre blanc» sur les évènements récents et la répression policière.
Cette assemblée, particulièrement riche et vivante, rassemblant des centaines de participant-e-s prêts à sengager avant tout des jeunes a été une remarquable réponse aux gesticulations liberticides des libéraux, un exercice de démocratie vivante et directe qui rappelle les meilleures heures des mouvements populaires genevois! Bravo, ce nest quun début
Pierre VANEK
- Cité par la Tribune le 4.6.03
- Cité dans Le Temps 7.6.03
- Cité par Le Matin 5.6.03
- Cité par dimanche.ch du 8.6.03
- Cité dans 24 Heures du 4.6.03
- Le Matin du 3.6.03
- La Tribune du 4.6.03
- dimanche.ch du 8.6.03
- Dans Le Matin 7.6.03
- Lintervention de larmée contre une manifestation antifasciste fit alors 13 morts à Genève