Bush – Couchepin: jeux de mains, jeux de vilains

Bush – Couchepin: jeux de mains, jeux de vilains

Finalement, manifestations altermondialistes obligent, Pascal Couchepin n’a pas réussi à s’entretenir en privé avec George W. Bush à l’occasion du sommet du G8 à Evian, cette formidable mise en scène du pouvoir par lui-même. Mais il aura au moins pu lui serrer la main, ce qu’il a fait avec un empressement et un plaisir visibles. A sa manière, la chaleureuse poignée de main entre le Président de la Confédération et celui des Etats-Unis symbolise l’affinité liant l’Establishment des deux pays. Affinité dont l’un des vecteurs réside dans cette véritable guerre sociale que les cercles dirigeants américains et suisses conduisent sur le front intérieur, contre les salarié-e-s et les pauvres de leur pays respectif. Dans les deux cas, la politique fiscale et sociale est au cœur de l’offensive.


Aux Etats-Unis, profitant de sa victoire militaire en Irak, Bush vient de faire passer le second paquet de réduction d’impôts depuis son investiture, il y a un peu plus de deux ans seulement. Centré sur la diminution de l’imposition des revenus tirés des actions, ce cadeau fiscal est colossal – de l’ordre de 80 milliards de dollars par année en moyenne – et va bénéficier avant tout à l’infime minorité (1%) des Américains les plus riches.1 Comme dans tous les pays où de semblables cadeaux sont décidés, leurs promoteurs les justifient par la volonté de favoriser la relance économique. Un non-sens, puisque les principaux bénéficiaires n’accroissent guère leur consommation – déjà très élevée – mais augmentent leur épargne.

Creuser les déficits publics

La véritable raison se trouve donc ailleurs: le prestigieux hebdomadaire britannique The Economist la dévoile lorsque, commentant le paquet fiscal de Bush, il écrit que, si celui-ci «…ne l’a jamais dit explicitement», son véritable objectif est «…de contraindre à brider les dépenses en diminuant les recettes fiscales»2. De fait, pour compenser le trou béant creusé par ses cadeaux, le Gouvernement américain vise maintenant à faire adopter un plan diminuant les dépenses publiques consacrées aux chômeurs, aux malades et aux pauvres de près de 50 milliards de dollars par an.3 Cette stratégie a un nom, et nous la dénonçons depuis des années dans les colonnes de ce journal: la politique des caisses vides.

Maquiller les comptes

En Suisse, les milieux bourgeois ne sont pas en reste. D’un côté, ils se lamentent sur la situation financière prétendument catastrophique de la Confédération. D’ailleurs, ils n’hésitent pas à fabriquer de soi-disant preuves en maquillant les chiffres: alors que les comptes fédéraux pour 2002 ont, en réalité, dégagé un excédent de 400 millions de francs, le Conseil fédéral a décidé, de manière parfaitement arbitraire, de modifier la comptabilité de l’Etat. Ce trucage, dont il est familier, lui a permis de présenter un déficit de 3,3 milliards et donc d’alimenter sa propagande alarmiste.


De l’autre côté, les organisations patronales et les Partis bourgeois, complaisamment relayés par les médias, poursuivent imperturbablement le creusement des déficits par leur politique de diminution des impôts en faveur des riches. C’est ainsi que les Chambres s’apprêtent à adopter, cet été, un programme d’allègements fiscaux qui privera la Confédération de 1,2 à 1,5 milliard, et les cantons de quelque 500 millions, de recettes par an. On cherche à faire passer ces mesures auprès de la brave opinion publique sous le prétexte d’aider les familles en difficulté. Noble objectif, mais la grande majorité des familles économisera de quoi emmener les enfants au McDo une fois de plus par mois pendant que la petite couche des foyers très aisés touchera de quoi leur offrir trois semaines de plongée sous-marine aux Caraïbes!

Amputer le social

Il y a encore peu, les autorités fédérales attendaient d’avoir précipité les comptes de l’Etat dans le rouge pour présenter la cure d’austérité censée rétablir l’équilibre. Aujourd’hui, légitimées par l’adoption du frein aux dépenses, elles ne se donnent même plus cette peine. Alors que le paquet d’allégements fiscaux n’a pas encore été définitivement accepté, le Gouvernement a déjà présenté, au début mai 2003, l’un des programmes d’austérité les plus draconiens de ces dernières décennies: 2,9 milliards d’économies par an à partir de 2006 (soit 5,6% des dépenses actuelles). Principales cibles: les assurances sociales, l’environnement, les réfugiés, la formation, la culture et l’aide au développement.4


Couchepin a aussitôt rajouté sa petite touche personnelle en annonçant sa volonté d’augmenter l’âge de la retraite à 67 ans et de diminuer les rentes AVS. Puis il a couru serrer la main de Bush. Tout un symbole, disions-nous.


Jean BATOU

  1. Cf. Neue Zürcher Zeitung, 8 janvier et 26 mai 2003.
  2. The Economist, 31 mai 2003, p. 44.
  3. Cf. International Herald Tribune, 26 mars 2003.
  4. Cf. Neue Zürcher Zeitung, 2 mai 2003.