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France : Après la victoire de Benoît Hamon, une nouvelle donne pour la gauche?

Dans les primaires en vue des élections présidentielles de 2017, les favoris sont battus les uns après les autres. Si la victoire de Benoît Hamon est réjouissante, quelles sont les perspectives pour la gauche?


Mathieu Delmestre

Les multiples  rebondissements que connaissent les préliminaires de la présidentielle démontrent la profonde crise que connait actuellement le monde politique français. Au point que c’est désormais quasiment l’ensemble des candidat·e·s qui se revendiquent « antisystème » (ce malgré leur statut d’ancien ministre ou leurs liens avec les milieux économiques). Et l’incertitude est telle que chacun·e finit par donner l’impression de pouvoir être élu sur un malentendu.

La victoire de B. Hamon à la primaire du parti socialiste est à la fois un énième signe du désaveu du gouvernement actuel et l’expression qu’une part importante de la base du parti socialiste, notamment des jeunes, veut remettre en avant des politiques plus solidaires et justes. Hamon propose ainsi dans son programme un retrait du nucléaire, une remise en cause de la prolongation de l’état d’urgence, l’augmentation du revenu de solidarité active (RSA) pour les jeunes ainsi qu’un refus marqué de la stigmatisation des musulman·e·s et de l’interdiction du voile.

Un PS tiraillé

Quelles que soient les réticences qu’on peut avoir quant à la possibilité d’un véritable changement politique au sein même du PS, il faut se réjouir d’une telle opposition aux politiques sociolibérales de Hollande et Valls. A l’instar de ce qui se passe avec Corbyn au Royaume-Uni ou avec Sanders aux Etats-Unis, cet enthousiasme pour Hamon s’inscrit dans une tendance actuelle au sein des partis sociaux-démocrates qui voit la base des militant·e·s défendre des options anti-austérité, favorables à des politiques écologistes et pour une redistribution plus équitable.

Cette comparaison, pas forcément avantageuse avec le Labour, laisse voir le danger qui couve pour le PS français, à savoir la division du parti entre une aile gauche présentée comme « idéologique » et une aile droite présentée comme « réaliste » et seule capable de gagner. C’est du moins la lecture qu’essaie d’en donner les médias et le camp de Valls. Le PS va effectivement continuer à être profondément divisé. Benoit Hamon risque de devoir défendre son programme tout en adoptant une attitude plus conciliante à l’égard du bilan du gouvernement actuel. Tandis qu’une partie importante des socialistes qui ont voté pour Valls vont, eux, se tourner vers Macron.

L’horizon bouché de la présidentielle

La présence de Hamon va faire baisser la cote de Mélenchon, qui voulait représenter l’homme providentiel, mais commence déjà à perdre des points. Les appels pour une candidature unique ont peu de chance d’aboutir, tant il semble peu probable que l’un ou l’autre se retire.

Avec la quasi-certitude de la présence du Front national au second tour, le discours conservateur libéral de Fillon et les élucubrations d’un Macron champion d’un libéralisme déjà expérimenté au sein du gouvernement Hollande, certains avanceront que la situation est d’une gravité telle qu’elle exige de se résoudre au vote utile pour éviter le pire. Les éléments actuels en France sont nombreux pour leur donner raison. Mais avec la chute prévisible de Mélenchon dans les sondages, cette logique conduira à voter Hamon.

D’autant que Fillon après avoir multiplié les casseroles chute dans les sondages, ce qui aura sûrement pour effet de renforcer la candidature de Marine Le Pen à droite, et d’ouvrir la voie aux différents prétendants, dont Macron, mais aussi Hamon, pour lesquels le second tour ne constitue plus un objectif impossible. D’autres à gauche choisiront de voter pour un·e candidat·e marquant plus clairement son opposition au capitalisme. L’enjeu n’est pas de dire qui a raison. L’important se situe ailleurs. En effet, le problème de la dynamique Hamon et des questions débattues actuellement sont qu’elles se limitent à cet horizon bouché de la présidentielle. Cette façon d’appréhender la politique passe à côté de l’essentiel.

Des espaces à saisir

Le rejet actuel des politiques gestionnaires et institutionnelles constitue une ouverture formidable, des espaces politiques à saisir. Face à l’assise actuelle du Front national au sein des couches populaires, il est urgent de démonter son imposture en montrant que c’est le capitalisme qui est la cause de la précarisation de larges couches de la société, et non les étranger·e·s.

Les années 1990 et 2000 furent celles d’un consentement désabusé, où les contreparties de consommation permettaient de maintenir le système néolibéral. La crise actuelle a supprimé ces contreparties et largement craquelé ce consentement. Cette situation représente une occasion forte d’émancipation et de politisation. Il faut se garder de tout sectarisme tout en remettant en cause les recettes institutionnelles. Plutôt que de dédaigner l’optimisme des individus qui porte Hamon, il faut mener le débat avec tous ceux qui rejettent le libéralisme et exigent plus de justice sociale, tout en mettant en avant le besoin d’une alternative anticapitaliste.

Mécontentement et enthousiasme se font entendre, ils peuvent déboucher sur des mobilisations fortes comme c’est le cas actuellement aux Etats-Unis. L’opposition contre la loi Travail en 2016 a montré que de telles dynamiques couvent en France. Au-delà des présidentielles, ce sont des mobilisations, leur capacité à construire une majorité populaire opposée au libéralisme, à l’austérité et au racisme qui seront déterminantes. La situation actuelle en France laisse entendre que cette construction demandera du temps et se fera sûrement dans la résistance face au prochain gouvernement. C’est au sein de ces mobilisations que la réflexion et la pratique politiques méritent d’être menés, plutôt que dans les questions de tactiques électorales.

Pierre Raboud