L'impérialisme suisse: un secret de famille

L´impérialisme suisse: un secret de famille

La Suisse est un pays impérialiste de tout premier ordre. Mais attention, c’est un secret de famille… Qu’est-ce que cela signifie? Que ses capitalistes rentabilisent une part décisive de leurs avoirs sur l’arène internationale dans des conditions qui leur sont structurellement favorables. Ainsi, les exportations de biens et de services de la Suisse tirent largement profit d’une productivité du travail parmi les plus élevées au monde; ses investissements extérieurs dégagent des profits considérables dans de nombreux pays en prenant le contrôle d’entreprises productives (ou de placements financiers) parmi les plus rentables; enfin, son marché du travail est spécialisé dans l’importation d’une main-d’œuvre étrangère partiellement (permis B, C et F) ou totalement (sans papiers) privée de droits. Pourtant, ces enjeux essentiels sont largement absents du débat politique, à gauche comme à droite.


Le caractère impérialiste de la Suisse est soigneusement camouflé par une idéologique composite aux accents isolationnistes (réduit alpin), chauvins (y’en a point comme nous!) pseudo-pacifistes (neutralité, bons offices), «humanitaires» (Croix-Rouge), voire «tiers-mondistes» (aide au développement). En réalité, la Suisse officielle a toujours misé sur un cynique jeu d’équilibre entre les principales puissances du moment, comme le révèle l’histoire cachée de ses élites pendant la Seconde guerre mondiale.


Il n’est donc pas de politique de gauche en Suisse qui puisse faire l’économie d’une mise en cause radicale du caractère impérialiste de ce pays, en particulier dans les domaines de la finance (secret bancaire, paradis fiscal, investissements étrangers), du commerce extérieur (échange inégal, en particulier avec le Sud), de l’exploitation du travail (main-d’œuvre immigrée) ou de la politique étrangère (alignement sur les grandes puissances impérialistes).

L’empire suisse, y’en a point comme lui…

La Suisse ne représente que 0,3 pour mille de la surface du globe et 1,2 pour mille de sa population. Pourtant, elle dispose de 1 pour cent de son Produit National Brut, plus que toute la Russie… Avec un PNB par tête de 40000 dollars, elle se situe en tête du classement international, juste derrière le minuscule Luxembourg. Elle est enfin la troisième place bancaire du monde, dont elle gère 25 à 30% des fortunes privées…


Un petit réduit économe et industrieux, fermé sur lui-même? Un Sonderfall jaloux de son indépendance? Tout au contraire… Un condensé des avancées les plus audacieuses de la mondialisation capitaliste avec une économie extravertie à l’extrême. Un commerce extérieur qui représente 45% de son Produit Intérieur Brut (contre 13% en moyenne pour la zone euro), des investissements extérieurs directs qui se montent chaque année à 14% de celui-ci (contre 4% pour l’Union Européenne et moins de 1% pour les Etats-Unis), ou encore un taux d’emploi de la population parmi les plus élevés au monde (55,1%, contre 44,6% en Allemagne, 40,4% en France ou 37,1% en Italie), grâce à l’exploitation sur une large échelle de salarié-e-s immigrés…


Un modèle en perte de vitesse en raison de ses rigidités et de ses réglementations excessives? Au contraire, selon l’Institute for Management Development de Lausanne, l’une des économies les plus compétitives au monde, avec des positions particulièrement fortes pour ce qui est des coûts du capital, de la confidentialité des opérations financières, de la protection de la propriété ou de la flexibilité du marché du travail. Si l’on en croit le classement 2002 de la très conservatrice Heritage Foundation des Etats-Unis, la Suisse serait l’une des économies les plus libérales d’Europe, après la Hollande et l’Angleterre.


Jean BATOU