Jeux de dupes à l'ère numérique

Le votation du 10 juin 2018 sur la nouvelle loi sur les jeux d’argent (LJAr) modifie les normes sur les casinos, les loteries et les jeux en ligne. La Coordination interrégionale de solidaritéS ne donne pas de recommandation de vote mais quelques explications pour se faire une opinion.


75 000 personnes souffrent d’addiction au jeu en Suisse (Casino de Montreux) – Olivier Bruchez

Les jeux de loterie et le casino ont une fonction importante dans l’imaginaire capitaliste contemporain en laissant croire que la fortune est le fruit du hasard. Ils sont très lucratifs pour ceux qui les organisent et dangereux pour celles et ceux qui s’y adonnent. C’est aussi, en Suisse, une source majeure de financement des activités culturelles et sportives. La LJAr est ainsi l’objet d’une campagne étonnamment virulente face à une loi pleine de contradictions. Depuis 1923, les loteries sont autorisées sous monopole public et les bénéfices soutiennent des œuvres d’utilité publique et de prévention du jeu excessif. Depuis 2000, une part importante des bénéfices des casinos contribue à financer l’AVS.

Captation légitime des gains provenant des jeux en ligne.

L’avènement des jeux d’argent en ligne offshore basés dans des paradis fiscaux spécialisés (Gibraltar, Malte, Chypre, etc.) casse cette logique de redistribution des gains issus du jeu à des fins d’utilité publique. Les flux grandissant de paris et de jeux en ligne offshore et leur éventuel blocage sont au centre du débat autour de cette votation. Cependant il faut rappeler que casinos et loteries publiques ont aussi profité de cette révision pour renforcer leur position, faire baisser massivement la taxation fiscale des gains de loterie et empêcher les améliorations attendues du système de prévention.

L’application territoriale des lois est difficile à transposer dans les espaces numériques et la solution technique du blocage de sites offshore est intrusive et discutable. Cependant, dans notre conception large et matérielle de la liberté, celle formelle et abstraite de se connecter à n’importe quel site, sans égard à d’autres intérêts, n’est pas suffisante pour justifier une remise en cause du monopole public sur les jeux d’argent. Or c’est bien ce monopole que les libéraux qui se posent en défenseurs des libertés cybernétiques attaquent par leur référendum.

Incitations néfastes

Une mesure problématique est la défiscalisation du premier million de gain de jeux d’argent. Cette mesure provoquera une baisse des recettes fiscales tout en encourageant certains comportements addictifs. Les gains seront imaginés comme plus importants et l’impôt anticipé n’étant plus perçu présage déjà des endettements fiscaux importants pour les gagnant·e·s.

Autre problème: la nouvelle norme ne prévoit ni de part obligatoire attribuée à la prévention des comportements addictifs ni de compétence fédérale suffisante en la matière, alors que la faîtière des professionnels de l’addiction indique que 75 000 personnes souffrent d’addiction au jeu et que le coût social du jeu excessif est d’au moins 550 millions par année. Autant dire que les mesurettes proposées par la LJAr sont insuffisantes sur ce point et clairement marquées par les intérêts des loteries publiques et des casinos.

En cas d’échec, la base constitutionnelle existante devrait être mise en œuvre rapidement par une nouvelle loi moins favorable aux casinos, plus soucieuse du fisc et du financement des mesures de prévention des addictions aux jeux. En cas d’acceptation, les plateformes offshore seront immédiatement empêchées de mettre en danger l’affectation du produit du jeu à des fins d’utilité publique.

Dimitri Paratte