ContreTemps: déconstruire l’extrême droite

ContreTemps: déconstruire l’extrême droite

Après l’Italie, l’Autriche, le Danemark et la France, qui ont vu l’extrême droite progresser de manière inquiétante, la Suisse confirme, avec la forte poussée de l’UDC lors des dernières élections fédérales, le glissement xénophobe et conservateur qui gagne peu à peu l’Europe, alors même que certains croyaient naïvement les démocraties libérales durablement immunisées contre du péril populiste xénophobe. A l’heure où même la bourgeoisie commence à se poser des questions face à l’effritement de son électorat au profit de l’extrême droite, la revue ContreTemps nous offre une analyse plus que bienvenue1.


Après un peu plus de deux années d’existence et huit numéros, la revue ContreTemps se distingue une nouvelle fois par sa qualité et son ouverture et confirme sa vocation d’espace de réflexions et de débats. Sa dernière livraison, consacrée à la montée des extrêmes droites, un peu plus d’une année après la mauvaise surprise du 21 avril 2002, tombe à point nommé dans une Helvétie encore sonnée par la montée en puissance – tant en suffrages au niveau national qu’en implantation en Suisse romande (à l’exception notoire du Jura) – de l’UDC et de l’avènement du règne absolue de Christophe Blocher sur ce parti.


Si bon nombre de textes son centrés sur la situation française et notamment sur l’histoire de l’extrême droite de l’Hexagone, ainsi que sur les filiations des mouvances actuelles, le dossier n’en reste pas moins source de nombreuses réflexions utiles pour quiconque cherche à comprendre la montée en puissance de l’extrême droite. Par ailleurs, plusieurs contributions s’inscrivent dans une démarche réflexive plus globale et ne se limitent pas à l’analyse du seul cas français.

L’extrême droite plurielle

Nombre d’analyses et de projections sur l’extrême droite se sont focalisées sur une modélisation du régime fasciste de Mussolini ou de l’avènement du national-socialisme, pour en conclure, un peu sommairement et avec des réductions grossières, que les démocraties libérales européennes étaient immunisées contre tout retour en force d’une quelconque droite fascisante ou réactionnaire. Cette confiance presque aveugle envers les institutions bourgeoises développées depuis la guerre, renforcée par une vision par trop simpliste des progrès de l’Histoire (les conditions «objectives» de ce qui s’est passé dans les années 30 ne sont plus réunies pour imaginer revivre ce qui a eu lieu), a plongé nos sociétés dans une cécité extraordinaire, pendant que la bête reprenait tranquillement, sous de nouveaux apparats, des forces.


Une des idées transversale aux différentes interventions publiées par ContreTemps est celle de la nécessité de reconnaître la pluralité des mouvances d’extrême droite au sein de chaque réalité nationale et à plus forte raison au niveau européen. Au delà de certains groupuscules nostalgiques du Duce ou du Führer, somme toute insignifiants, diverses extrêmes droites se sont développées et il serait dangereux de continuer à ne pas les différencier. Car renoncer à les connaître telles qu’elles sont, tant par ce qu’elles ont en commun, que par ce qui les sépare, c’est s’empêcher de les combattre sérieusement. L’extrême droite fondée sur une idéologie catholique traditionaliste et réactionnaire (monarchiste dans certains pays) ne peut être assimilée sans nuance à celle qui revendique pour corps de doctrine la suprématie ethnique d’un groupe donné sur l’ensemble des autres. Si toutes les extrêmes droites partagent indéniablement certains traits, notamment la xénophobie, il demeure essentiel d’être à même de comprendre et de relever ce qui les distingue les unes des autres, notamment quant à leur degré d’adhésion au – ou de rejet du – libéralisme.


Enfin, parmi les différentes réflexions qui donnent corps à ce numéro, on relèvera, celle de Philippe Corcuff, qui apporte une intéressante contribution à la thèse selon laquelle la montée de l’extrême droite serait l’expression d’une «crise du sens» et d’une «recomposition des identités» dans nos sociétés: le référent identitaire aujourd’hui n’est plus lié à la réalité objective de chacun, née de nos positions respectives face aux inégalités sociales et économiques, mais à un clivage «national-racial» isolant et stigmatisant des groupes ethnicisés. Réaffirmer l’existence d’intérêts de classes fondamentalement divergents au sein de la société capitaliste est donc essentiel pour combattre la montée des extrêmes droites fondée sur des replis identitaires.


Erik GROBET

  1. «Nouveaux monstres et vieux démons: déconstruire l’extrême droite», ContreTemps, n°8, septembre 2003, Textuel.