Joker

Foule et rire sordides

Au milieu des multiples films de super héros, celui-ci s’arrête sur un super méchant: le joker. Un récit désabusé qui ne propose aucune critique du genre ou de la société.

joker

Faire un film sur un super méchant n’implique pas la valorisation d’un contre-exemple sociétal. La figure du personnage grimé en clown reste ici centrée sur sa folie individuelle. Joker donne bien à voir aux spectateurs·rices une version désabusée d’une société en pertes de repères.

La ville-modèle de Gotham est ici le New York des années 1980 en pleine crise économique, sombre et couvert de déchets. Mais plutôt qu’une critique de l’inégalité ou une valorisation des gens qui tentent de survivre, le film reprend ce qui est l’une des marques de fabrique de la filière Batman: la peur du chaos. Celui-ci est incarné par foule caricaturale dont la seule réaction semble pouvoir être la guerre civile, vue ici comme une violence stupide, apolitique et forcément mauvaise. La mobilisation populaire est représentée comme un cauchemar absolu, qui débouche forcément sur la violence incontrôlée.

Rire oppressif

Si le personnage du joker est sauvé, c’est presque uniquement par la performance d’acteur de Joaquim Phoenix. Le réalisateur semble en être conscient et insiste lourdement dessus, en accumulant les plans prétexte de danse ou d’attente. Pour ce qui est du fond, le scénario déçoit là aussi. Construisant une trame sur l’isolement et la désillusion sociale, il finit par expliquer la transformation en joker par des raisons personnelles.

Il existe néanmoins un point sur lequel le Joker tape juste et fort: un portrait du rire qui opprime. Ce rire affreux des jeunes banquiers agressant une femme dans le métro, ce rire sordide d’une télévision qui ne fonctionne qu’à l’humiliation et à l’entre-soi, ce rire cruel et méprisant face la faiblesse. Le film insiste jusqu’à provoquer un malaise poignant face à cette dimension terrible du rire, qui est toujours le fait de celui qui domine. Car comme le rappelle le joker, dans un rare moment de lucidité, ce sont les mêmes qui décident et de ce qui est juste, et de ce qui est drôle.

Pierre Raboud