France

Vers une victoire sociale ?

Depuis le jeudi 5 décembre, la France est en proie aux débuts impressionnants d’une mobilisation contre la réforme des retraites du gouvernement Macron-Philippe.

Jeanne Menjoulet
Manifestation à Paris, 5 décembre 2019

Cette dernière s’inscrit dans une longue suite de contre-réformes qui s’enchaînent depuis 1993. Hausse de l’âge légal de départ à la retraite et du nombre d’années nécessaires pour une retraite « à taux plein », calcul du montant de plus en plus défavorable, les différents gouvernements en place sont parvenus à limiter de plus en plus fortement cette part « différée » du salaire. De manière insatisfaisante et non sans difficultés, toutefois, pour les capitalistes et le personnel qui a porté ces réformes, en raison des mobilisations des salarié·e·s et de la population, en particulier en 1995 et en 2010.

Précarisation générale

Malgré ces résistances, et au-delà de la question des retraites, les salarié·e·s ont vu leurs conditions de vie et leurs revenus se détériorer drastiquement ces dernières décennies. Baisse du salaire direct et indirect, fermetures d’usines et vagues de licenciements massifs, précarisation des protections au travail, casse progressive de la sécurité sociale, hausse du coût de la vie : le « ras le bol » est largement répandu.

Or, la réforme, même si de nombreux détails restent largement méconnus à ce stade, va poursuivre cette dynamique. Pour les celles et ceux soumis à des « régimes spéciaux », en premier lieu, avec l’universalité vers le bas qui sera mise en place à court ou moyen terme. Pour tou·te·s les autres, également : la prise en compte de l’ensemble d’une carrière (et non plus des 25 meilleures années), les incertitudes quant à la faiblesse et à la pérennité dans le temps de « la valeur du point » qui déterminera les futures rentes, le blocage à moins de 14 % de la part du PIB attribuée aux retraites. Personne ne fait confiance à ce gouvernement pour que la réforme soit dans l’intérêt des ouvriers et ouvrières, des précaires. Avec raison car l’objectif principal est d’affaiblir le montant et la garantie d’une retraite future, pour ouvrir la voie aux assurances privées.

Mobilisation générale

Dans ce contexte, la séquence sociale qui a débutée le 5 décembre révèle des potentialités intéressantes. Par son caractère massif, d’emblée, avec plus d’un million de manifestant·e·s dans les rues et un soutien très large dans la population. Mais aussi par les formes qu’elle prend, avec des grèves, certaines reconductibles, dans des secteurs stratégiques de l’économie capitaliste. Et parce que la « convergence des luttes » est bel et bien à l’ordre du jour, avec des jonctions en cours entre les gilets jaunes, différents secteurs du salariat en lutte depuis plusieurs mois (pompiers, hôpitaux, etc.) et d’autres situés en première ligne (transports, fonction publique, raffineries). 

Le « tous ensemble » pourrait bien s’élargir encore. Si le mouvement « prend » d’ors et déjà parmi les étudiant·e·s, il n’est pas impossible que les salarié·e·s des petites et moyennes entreprises débraient à leur tour, ou que des places et des ronds-points se  réoccupent. Sans parler du commencement de renaissance de mobilisations féministes de masse, des jeunes qui se mobilisent sur les questions climatiques, ou de la manifestation contre l’islamophobie du 10 novembre. Ces mouvements pourraient ajouter leurs voix à l’effervescence sociale. À prendre en compte également, la faiblesse de ceux qui portent le projet, élus « par défaut » il y a deux ans et demi. La tentative de recentrer le débat public autour de l’immigration a lamentablement, à ce jour, échouée.  

Cela dit, le plus dur reste encore à faire pour ne pas subir une énième défaite face à une contre-réforme néolibérale de plus. Le gouvernement, craintif mais appuyé par la Commission Européenne et les patrons, semble bien décidé à affronter l’épreuve de force. Sans une mobilisation exceptionnelle, sans une grève générale qui ne se construira pas si facilement, il sera difficile d’arracher plus que quelques concessions. 

Mais à ce jour l’espoir d’une victoire sociale majeure est permis. Une avant-garde sociale renouvelée semble bien déterminée à déborder les directions syndicales pour en découdre, en impulsant des cadres d’auto-organisation, en poursuivant la jonction avec les gilets jaunes et en élargissant au maximum la participation de la population à la mobilisation. Dans le cadre d’un système capitalistes au bord de la crise économique, où des luttes spontanées, massives et radicales éclatent dans le monde entier, les anticapitalistes, en France et partout ailleurs, ont des choses à dire, mais surtout un rôle à jouer !

Gwenolé Scuiller