Une solution : vélorution !

À la faveur du déconfinement, les pistes cyclables fleurissent dans de nombreuses villes du monde, disputant l’espace urbain à la domination de la voiture, non sans crispations. 

Critical Mass, Lausanne, 27 mai 2020
Critical Mass, Lausanne, 27 mai 2020

La période de (semi-)confinement a été éprouvante, surtout pour celles et ceux coincé·e·s dans des appartements exigus, mais cet épisode difficile a eu quelques vertus : notamment libérer nos villes d’une grande partie des nuisances liées aux moteurs.

Profiter du déconfinement

La sortie du confinement offre une opportunité  de transformer la ville. Avec l’impossibilité pour les transports publics de fonctionner « à plein » – distance physique oblige – éviter un report massif sur le trafic motorisé est une nécessité sanitaire. C’est l’occasion qu’ont saisie des cités comme Bogotá, Paris, Bruxelles ou Milan pour aménager de larges voies cyclables et piétonnes.

Cette situation survient après des mobilisations pour le climat entraînant des millions de jeunes dans la rue, qui exigent des changements en profondeur pour diminuer les émissions de CO₂. De toutes les mesures visant à diminuer l’impact climatique, la baisse du trafic motorisé en ville reste l’une des plus « faciles » à réaliser rapidement. Lorsqu’on vise la sobriété énergétique, des véhicules de deux tonnes, prévus pour cinq, circulant avec leur seul·e conducteur·trice, n’ont plus leur place dans un espace public urbain par essence limité. Cette mesure a aussi nombre de bénéfices connexes : moins de pollution, de bruit, de stress, d’accidents, et la lutte contre la sédentarité si l’on encourage les mobilités actives (vélo, marche).

Bataille genevoise

À Genève, courant mai, les autorités du Canton et de la Ville ont donc tracé 7 km de bandes cyclables « provisoires » (pour 60 jours) sur certains axes. En plus de répondre à l’urgence, ces mesures correspondent à un début d’application… neuf ans après son acceptation en votation, de l’initiative pour la mobilité douce, jusqu’ici victime d’un véritable déni démocratique. Mais ces mesures, ont instantanément fait rager les milieux pro-bagnole qui ont appelé à tout effacer au plus vite.

Les associations actives pour la mobilité d’avenir ont riposté au côté de collectifs de quartier, lançant une pétition exigeant de pérenniser ces aménagements « provisoires » et de les étendre à d’autres axes : 17 500 signatures en 11 jours (dont 10 000 dans les premières 24 heures – du jamais vu !). Cinq grandes communes ont réclamé des mesures similaires sur leur territoire et plusieurs dizaines de médecins genevois ont appelé à défendre ces voies vélo. EàG a déposé un texte au Grand Conseil pour renforcer ces mesures alors que certaines voix, même au sein du PLR, s’élèvent pour soutenir ces aménagements portés par… un conseiller d’Etat PDC !

Une bataille à gagner par la mobilisation

Lundi 18 mai, un appel lancé sur les réseaux à « occuper les bandes cyclables » a rassemblé près de 4000 vélos autour de la plaine de Plainpalais. Cet élan spontané est l’un des signes de la bascule idéologique en cours. À l’heure où le réchauffement menace, il n’est plus tolérable que celles et ceux qui font l’effort de circuler sans polluer doivent encore risquer leur vie dans nos rues. À Lausanne, la Critical Mass pour « une ville vivante », lancée par Extinction Rebellion, veut « en finir avec les voitures en ville ». Une contagion réjouissante ! Le retour au monde d’avant, sur ce point-là au moins, semble remis en cause.

La résolution du problème climatique passera par des changements structurels majeurs. Mais comment pourrions-nous amorcer une transformation écologique en profondeur si nous ne réservons pas, dans nos villes, un mètre de chaussée aux véhicules les moins polluants ?

Pour une politique urbaine écologique et sociale 

Une meilleure répartition de l’espace urbain peut constituer un pas vers le « droit à la ville », à condition de l’articuler à une lutte contre la gentrification qui chasse les classes populaires des centres-villes, et les rapproche des grands axes routiers et autres zones industrielles… impraticables à vélo ! Un phénomène que des péages urbains pourraient renforcer. En effet, la diminution du trafic au centre y améliore la qualité de vie, poussant les loyers à la hausse, renforçant le cliché (plutôt réel pour le coup) du cycliste « bobo » urbain dans des rues truffées de « concept stores » hors de prix.

Le vélo, mode de transport simple, bon marché et accessible devrait être l’outil des classes populaires, comme il l’a d’ailleurs longtemps été. Il faut donc lier cette bataille contre la voiture en ville avec celle plus générale de l’aménagement du territoire: contre la séparation fonctionnelle des espaces, pour une ville des courts-trajets, contre la propriété privée du sol, pour des logements abordables, pour la gratuité des transports publics, etc. Bref : une vélorution !

Thibault Schneeberger