Un militantisme qui « dérange » l’université

La liberté d’expression des chercheurs·euses est-elle bientôt révolue ? « L’UNIL veut ‹ encadrer › la parole militante de son corps enseignant » a annoncé la RTS ↗︎ le 17 mars dernier, provoquant la stupeur et la colère de la communauté académique. 

Nouria Hernandez fait un discours à l’Unil
Nouria Hernandez, rectrice de l’Unil, veut limiter l’expression des chercheurs·euses.

Àl’origine de cette polémique, Nouria Hernandez, la rectrice de l’université de Lausanne, a ainsi, de son propre chef, initié une « réflexion » sur les liens entre enseignement et militantisme. Elle réfute l’idée d’une charte de bonne conduite, même si c’est pourtant ce qui transparaît de son interview à la RTS puisqu’elle édicte un certain nombre de comportements qui lui semblent souhaitables, notamment l’interdiction de mentionner son appartenance à l’université de Lausanne lorsqu’un chercheur ou une chercheuse se positionne dans un domaine qui n’est pas officiellement le sien. 

Un climat qui dérange

Elle affirme que ce n’est pas un événement particulier ou des pressions qui ont mené à la constitution du groupe de travail qui se penche sur cette question. Néanmoins force est de constater que seul un type d’activisme semble lui poser problème. Interviewée par l’émission forum, elle se réfère plusieurs fois aux prises de position sur les questions climatiques pour illustrer les cas qui pourraient engager (et nuire à ?) l’image de l’université de Lausanne. Pourtant, lorsque des professeurs de droit, à l’image de Alain Macaluso, utilisent leur qualité d’enseignant pour se positionner dans le débat public et critiquer l’acquittement des activistes qui avaient occupé les locaux de Credit Suisse en septembre 2019 (sans mentionner qu’il est, par ailleurs, avocat de Credit Suisse), cela n’a pas l’air de la faire sourciller. 

Cette volonté de limiter l’expression d’une certaine catégorie de chercheurs·euses, si elle est scandaleuse, s’inscrit pourtant dans la droite lignée de l’idéologie et des actions de la rectrice et de son équipe de direction depuis le début de leur mandat. La direction a ainsi souvent été critiquée pour sa gestion musclée de ses rapports avec le personnel de l’université, tandis que la rectrice elle-même a écrit une tribune dans Le Temps pour donner une définition plutôt conservatrice du harcèlement sexuel.

Mimétisme francophone

On peut aussi se demander s’il faut comprendre cette nouvelle attaque contre des positions progressistes dans la continuité de ce qu’il se passe en France. Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur, vient tout juste, elle aussi, de lancer sa chasse aux sorcières dans les universités, diligentant une enquête pour discerner « ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion ». Elle vise tout particulièrement à combattre ce qu’elle appelle « l’islamogauchisme » et qui, à ses dires, « gangrène l’université ».

Le groupe de travail mandaté par la rectrice ne va pas rendre son rapport avant plusieurs mois, mais d’ici là, il faudra rester vigilant·e·s pour s’opposer à ce piétinement des droits élémentaires du personnel de l’université, en particulier celles et ceux qui ne s’inscrivent pas dans la droite ligne des instances dirigeantes.

Olive Kagellev

Une muselière pour les ONG et les Églises ?

L’initiative « Multinationales responsables » était soutenue par 130 organisations non gouvernementales (ONG) et les Églises catholique romaine et réformée. Une situation contrariante pour Économiesuisse et la droite. 

Au soir du scrutin, l’ex-conseiller fédéral Pascal Couchepin se déchaînait sur les ondes de la RTS, accusant sans preuves les ONG ayant soutenu l’initiative de « détournement de fonds ». Or, leur comptabilité doit être certifiée par ZEWO.

Aux Chambres fédérales, trois interventions réclament la non-défiscalisation des dons, des enquêtes sur l’utilisation des fonds et les aides à des projets menés par des ONG « ayant participé à des campagnes politiques », afin de couper ces aides.

La prise de position des Églises – non séparées de l’État dans plusieurs cantons – est aussi attaquée. Une plainte des jeunes PLR voulait leur interdire de prendre des positions politiques (une proposition de loi en ce sens a été déposée au Grand Conseil saint-­gallois, en décembre 2020).

La Direction du développement et de la coopération (DDC) – intégrée en 2019 par Christian Frutiger, ex-cadre de Nestlé et défenseur de cette entreprise lors de l’espionnage d’ATTAC-Vaud (Vigousse, nº 424, 1.11.2019, et n≠ 452, 5.6 2020) – a critiqué les ONG pour une supposée utilisation des subsides fédéraux « à des fins de lobbying politique » (Le Temps, 19.2 2021). La DDC a donc coupé les aides pour le travail de sensibilisation et d’éducation en Suisse.

Ces cas ne sont pas anodins. En ces temps de crise, la classe dirigeante veut faire taire les critiques à son système.

Hans-Peter Renk