Loi CO₂

Après la vague verte les eaux glacées du «réalisme»

La campagne pour la loi CO₂ a vu le camp « progressiste » s’intégrer au camp bourgeois et se rallier à la grande communion autour de l’écologie de marché. Il a ainsi mis hors champ l’opposition de la Grève du Climat pour sauver la face.

Simonetta Sommaruga lors d'une conférence en faveur de la Loi CO2 chez MAN
Conférence en faveur de la LCO2 chez le fabricant de machines MAN, 3 mai 2021

Insuffisance, inefficacité et injustice. Qui sont les vrais irréalistes ?

« Cette fois-ci, il ne fallait pas s’y opposer mais se contenter des acquis que la loi permet », nous répète-on depuis le lancement du référendum contre la loi CO₂. Mais se contenter de quoi ? D’abord, cette loi est insuffisante : pour éviter un réchauffement global supérieur à 1,5º C, les pays capitalistes du Nord comme la Suisse doivent atteindre zéro émission nette d’ici 2030 et non 2050. De plus, plutôt que d’édicter des limitations à la pollution, cette loi mise sur la compensation et les quotas carbone qui renforcent la marchandisation des ressources naturelles. 

Or comme le rappelle Julia Steinberger, avec de tels outils, la loi « permettra à chaque secteur économique d’éviter une réduction concrète d’émissions » (Journal du syndicat des services publics, 19 mars 2021). Ensuite, la loi est inefficace : les taxes prévues sont insuffisantes pour limiter les habitudes de consommation de la population et passeront même inaperçues aux yeux des plus riches. Enfin, la loi est terriblement injuste : en Suisse, alors qu’elle instaure des taxes qui pèsent sur les plus précaires, elle ne prévoit aucune mesure contraignante contre la place financière qui pollue pourtant 22 fois plus que la population indigène. 

À l’étranger, les compensations se feront essentiellement dans le Sud Global au détriment des populations locales et renforceront leur dépendance aux pays capitalistes du Nord. Comment penser qu’en se privant des principaux leviers de changement et qu’en marchandisant les ressources environnementales et humaines, il puisse être possible d’aller vers une sortie de crise sociale et climatique ? 

Injonctions au réalisme et rappels à l’ordre 

Aussitôt le référendum contre la LCO₂ lancé, les Vert·e·s et autres « progressistes » sont monté·e·s au créneau pour assurer que cette loi est un premier pas, certes insuffisant, mais qui permet des avancées importantes. Dans une telle situation, en vouloir plus, c’est se montrer irréaliste. Pire, c’est refuser ce qu’on aurait déjà gagné. Ainsi, le soir de l’annonce du lancement du référendum, Adèle Thorens assène à une gréviste du climat que « les points importants [obtenus] c’est aussi votre victoire » (RTS, Forum, 2 octobre 2020). 

Qui peut donc bien tirer contre son camp ? D’abord, puisque c’est le discours écologique radical qui a permis ces « avancées », il serait ingrat de les critiquer. À partir de là, quiconque ne communie pas dans l’exaltation du compromis à la Suisse et veut jouer les trouble-fêtes est décrédibilisé. Quiconque prétendrait se battre pour la justice climatique et écologique ne pourrait que refuser cette loi. 

Changer le pansement ou penser le changement

Mais cette critique en ingratitude et en irréalisme cache un second verrouillage : celui de l’impossibilité de penser le changement autrement que sur la voie tracée par l’écologie politique. Dernier exemple en date : face à un gréviste du climat, une autre élue verte dit que lui « échappe un peu l’idée de dire tiens ! On a réussi à faire quelques avancées, on va leur tourner le dos parce qu’elles ne vont pas assez loin. » (Delphine Klopfenstein, RTS, Forum, 25 avril 2021). Pour elle, les critiques concernent le degré des mesures prises, alors que pour ses opposant·e·s c’est leur nature qui est inacceptable. 

Ce genre de rappels à l’ordre masque le caractère pourtant irréconciliable des deux positions. Pour les opposant·e·s, la loi ne va certes pas assez loin, mais surtout assurer changer de trajectoire avec les logiques qui y ont conduit est une gigantesque mascarade. Voilà donc le second verrouillage de la majorité politique : le discours des « petits pas » nous fait croire à un changement progressif sans changer la nature profonde de notre société. Taxes incitatives, marché des quotas carbones et compensations à l’étranger font miroiter un aménagement progressif du capitalisme. Voilà notre position : tenir la ligne de l’écosocialisme face aux chimères du capitalisme vert que porte la majorité politique.

De petits pas en petits pas jusqu’au naufrage final

« Aussitôt la loi passée, d’autres étapes sont prévues » nous dit-on. Mais lesquelles ? Sans tirer le bilan de l’échec du processus parlementaire qui a abouti à cette loi, ses défenseurs·euses nous promettent une suite à partir des mêmes recettes. Nous disons que c’est par la mobilisation de masse dans la rue et sur les lieux de travail ou d’étude que viendra le changement. Mobilisons-nous et construisons un front large de l’écologie radicale et anticapitaliste ! En route vers la Grève pour l’Avenir du 21 mai !

Guillaume Matthey    Alexis Dépraz