Humanisation ou abolition de la prison ?

On apprenait début mai à la RTS que la prison d’Orbe allait être rénovée et agrandie. Prévue pour 2026, les nouveaux espaces carcéraux ouvriront 216 places supplémentaires d’ici cinq ans et 410 places de détention à terme.

Intérieur de la prison de Bochuz, Orbe
La prison de Bochuz, Orbe

Les autorités vaudoises veulent ainsi réagir à la surpopulation carcérale, qui détériore considérablement les conditions de vie des détenu·e·s. Cette décision fait notamment suite à un rapport de la Commission des visiteurs du Grand Conseil, qui avait sévèrement critiqué les conditions de détention des institutions vaudoises, notamment à la prison du Bois-Mermet. 

Mais si l’amélioration des conditions de vie des détenu·e·s est évidemment une préoccupation légitime et importante, on peut s’interroger sur les conséquences de cette extension. En améliorant à la marge certains aspects de la détention, ne participe-t-elle pas à légitimer une institution violente et déshumanisante par essence ? 

L’impossible réforme de l’institution carcérale

C’est en tous cas ce que laissent penser les personnes qui ont étudié les évolutions de ces institutions. Pour Michel Foucault par exemple, le discours qui vise à réformer et humaniser la prison émerge presque en même temps que la création de l’institution. Il sert alors à légitimer une institution répressive qui vise essentiellement les classes populaires. 

Cette dimension est évidemment aussi présente en Suisse. D’une part, elle a été marquée par un système d’enfermement administratif visant soi-disant à amender des personnes qui n’avaient commis aucun délit pénal. Il s’agissait essentiellement de personnes précarisées, dont le mode de vie (travail du sexe, consommation d’alcool) dérangeait les classes dominantes. D’autre part, le système pénal suisse enfermait et enferme toujours en très large majorité les fractions dominées des classes populaires, à tel point que le criminologue Daniel Fink estime que « la fonction de la prison est aujourd’hui largement celle d’un instrument de régulation des flux migratoires ». En Suisse aussi donc, les institutions pénitentiaires constituent un puissant outil de domestication des classes populaires.

Face aux volontés d’humaniser la peine par des coûteux investissements financiers (279 millions de francs pour l’extension de la prison d’Orbe) ou par des dispositifs de peines en milieu ouvert, on peut dès lors reprendre à notre compte les doutes exprimés par Michel Foucault lors d’une conférence donnée à Montréal en 1976 : « je crois qu’à la question de l’alternative à la prison, il faut répondre par un premier scrupule, par un premier doute ou par un premier éclat de rire, comme vous voudrez ; et si nous ne voulions pas être punis par ceux-là, ou pour ces raisons-là ? et si nous ne voulions pas être punis du tout » ?

Anouk Essyad