Souriez, vous serez augmenté·e·s ! 

C’est fin mars que Watson informait sur le système salarial controversé chez le détaillant multimédia FNAC. Ce dernier admet ouvertement que désormais, une partie du salaire de son personnel est déterminée directement par la satisfaction des client·e·s ! 

Employé Fnac en costume
Dans le modèle salarial de la FNAC, le « savoir-être » des travailleurs·euses est davantage valorisé que leur savoir-faire.

Après une installation à Genève, puis à Lausanne il y a deux décennies, le groupe FNAC, qui pèse désormais 8 milliards de francs suisses de chiffre d’affaires annuel, s’étend désormais sur la Suisse alémanique et le Tessin, grâce notamment au partenariat avec Manor – groupe qui, de son côté, figure parmi les trois plus importants dans le commerce de détail en Suisse. 

Le salaire à l’épreuve de la satisfaction de la clientèle

De quoi s’agit-il précisément ? Selon les informations données par le directeur général de FNAC Suisse dans une interview de presse, la structure salariale des travailleurs·euses est composée de la façon suivante : un salaire mensuel fixe auquel s’ajoute une partie du salaire dit variable. Le fait qu’une partie du salaire varie est sans doute questionnable, mais il ne s’agit pas dans l’absolu d’une inconnue. C’est-à-dire que des modèles de rémunération similaires existent en Suisse, avec un salaire de base qui est complété, par exemple, par la provision sur le chiffre d’affaires. 

Toutefois, l’évaluation faite par les client·e·s ne constitue pas, en tant que tel, un salaire (ce qui ne signifie pas qu’elle ne se manifeste pas dans l’évaluation des performances d’un·e travailleur·euse). Or, pour Cédric Stassi, le directeur général de la FNAC, la satisfaction de la clientèle constitue une part déterminante du salaire de son personnel, Celui-ci dépendant « d’une part, bien sûr, des ventes, mais d’autre part, surtout de la satisfaction de nos clients et membres. Après chaque achat, le client reçoit un sondage avec une échelle de note de 1 à 10 : 1 à 6 n’est pas satisfaisant, 7 à 8 est moyen-bon et 9 à 10 est très bon. »  

Si l’exemple de la FNAC est frappant en ce qu’il génère une mise sous pression généralisée des travailleurs·euses, il reflète parfaitement les pratiques du mangement qui se sont imposées comme dominantes dans les années 1970-80. Cette séquence a connu plusieurs crises économiques qui se sont matérialisées au sein des entreprises. Ces dernières ayant été poussées à embrasser les impératifs ultralibéraux, la forme même de l’organisation du travail a dû être adaptée selon les nouvelles règles de gestion des entreprises. Ces dernières ne sont évidemment pas sans impact sur les conditions directes des travailleurs·euses qui se retrouvent depuis en constante évaluation et mise en concurrence avec leurs pairs. 

L’évaluation à 360° : l’entreprise comme panoptique

Si, par le passé, les travailleurs·euses ont été principalement évalué·e·s sur la base de leurs diplômes et de l’expérience acquise, le néolibéralisme des années 1970-80 introduit un nouveau mode de travail, basé sur les objectifs et résultats chiffrés, afin d’évaluer leur performance. La sociologue de travail, Danièle Linhart (intervenante à l’Uni de printemps de solidaritéS 2016), parle d’une évaluation systématisée des performances qui entraîne l’individualisation du salaire. Pour cette dernière, l’individualisation progressive des situations de travail a considérablement changé la nature de la pression que nous subissons dans le monde du travail. 

Si auparavant, les conditions de travail étaient physiquement très dures en ce qu’il s’agissait des chaînes de montage, de la pression des cadences ou encore de la répétitivité des mouvements, aujourd’hui les travailleurs·euses sont traité·e·s et évalué·e·s comme des éléments isolés. Cela se traduit notamment avec la mise en place des cahiers des charges et objectifs complètement individualisés et différenciés et ce au sein d’une même équipe de travail. 

De ce fait, la formation et le parcours socio-professionnel ne sont plus les seuls critères de rémunération ; ce qui devient déterminant, ce sont les qualités comme la prise de risque, les initiatives, la créativité, ou encore la gestion des situations de stress. 

Au-delà de leur caractère déstabilisant, de tels changements fragilisent la possibilité d’une organisation collective des salarié·e·s. Non seulement le management moderne contribue à l’insécurité permanente de l’emploi mais il rend très difficile la constitution d’une communauté de travail, les lieux de travail étant éclatés et les salarié·e·s atomisé·e·s. Le nouveau système salarial de FNAC s’inscrit parfaitement dans ce modèle où le « savoir-être » des travailleur·euses (soit leur amabilité, capacité d’humeur égale) est davantage valorisé que leur savoir-faire. De plus, il contribue à ce qu’on nomme « l’évaluation à 360° », s’agissant de l’évaluation permanente par leurs responsables, leurs pairs et désormais par les client·e·s.

Les nouvelles formes d’organisation du travail impliquant les nouvelles formes de souffrance au travail, cela pose d’ores et déjà les brèches pour l’intervention du mouvement syndical et les préoccupations pour notre camp social.

Tamara Knezevic