Sanctions suisses

Lueurs au fond d’une bouteille à encre

Avec une discrétion frôlant l’opacité, la Suisse dit mettre en œuvre les sanctions concernant les oligarques russes et leurs biens dans ce pays. Tout en se demandant si c’est la Confédération ou les cantons qui doivent agir en la matière… Plus poussif, tu meurs. Heureusement, ici et là, des informations concrètes surgissent.

Guennadi Timtchenko et Vladimir Poutine
Au deuxième plan : Guennadi Timtchenko (fortune estimée 20 milliards de francs). Plusieurs filiales de sociétés dont il est actionnaire sont basées en Suisse.

Ancienne du Monde et de Médiapart, Agathe Duparc a rejoint les rangs de Public Eye, ce qui a permis à cette ONG de renforcer ses enquêtes sur les oligarques russes en Suisse. Récemment, cet organisme a publié une galerie d’une trentaine de ces personnages ayant des liens avec la Suisse. Au passage, on y apprend l’ampleur de l’effort helvétique : alors que l’Association suisse des banquiers estime entre 150 et 200 milliards les avoirs russes déposés dans les banques du pays, la Confédération annonce triomphalement avoir gelé 7,5 milliards d’actifs russes, dont quelques propriétés de luxe. 

Aux dernières nouvelles, sur cette somme, 3,4 milliards de francs de fonds russes ont été « dégelés », ne correspondant pas aux critères des sanctions. Quelle remarquable efficacité ! Sans moyens supplémentaires et sans organisation spécifique, sans volonté politique non plus, les résultats resteront de ce niveau-là. Car, comme le fait remarquer l’ONG : « Dotés de moyens colossaux, les oligarques sont passés maîtres dans l’art de dissimuler leur fortune, qu’il s’agisse de limiter les dégâts lors d’un divorce couteux ou d’échapper à la justice et aux sanctions. Ils peuvent compter sur l’aide précieuse des avocat·e·s, des fiduciaires et des banques, qui mettent à disposition des trusts ou des montages de sociétés offshore bien plus complexes que des poupées russes. La Suisse offre les meilleurs “facilitateurs” de la corruption, alliant compétence et discrétion. » 

Zig zag Zoug 

Sans surprise pour qui connaît un peu les spécialités locales helvétiques, le canton de Zoug figure au premier rang des terres d’accueil des oligarques. Dans un document consultable en ligne, mais malheureusement peu utile car complètement anonymisé, Tamedia et 24 Heures avaient déjà montré cette prééminence, renforcée par la décision du canton voisin de Zurich de supprimer les forfaits fiscaux. En Suisse romande, Genève – ses sociétés de négoce, ses banques, privées ou non, ses fiduciaires et ses avocats – suit le canton de la tourte au kirsch.

Allez faire un tour sur cette galerie des oligarques. Vous y rencontrerez des personnages connus (Roman Abramovitch, Viktor Vekselberg), mais aussi une cousine de Vladimir Poutine (Anna Tsivileva, née Poutina) ou encore le patriarche Cyrille I, qui ne se contente pas de prêches nationalistes et réactionnaires enflammés, mais possède une immense fortune et un goût certain pour les montres de luxe. Tout cela au nom de l’antifascisme, bien sûr, et de la lutte contre le nazisme en Ukraine.

Daniel Süri