Révoltes agricoles

Comment concilier luttes paysannes et écologistes?

Le 16 avril dernier solidaritéS Vaud a organisé une table-ronde sur les révoltes agricoles en Suisse. L’objectif: débattre des problèmes que rencontre l’agriculture dans notre pays et des moyens permettant de concilier luttes paysannes et luttes écologistes. Pour en parler: Vanessa Renfer, paysanne d’Uniterre ; Stéphane Mustaki de Pro Natura ; Steve Montandon, président des Jeunes Agriculteurs vaudois, ainsi qu’Ella-Mona Chevalley d’Ensemble à Gauche. 

Vanessa Renfer (Uniterre), Johann Dupuis (EàG Lausanne), Stéphane Mustaki (Pro Natura), Steve Montandon (Jeunes Agriculteurs vaudois) et Ella-Mona Chevalley (Ensemble à Gauche Vaud)
Vanessa Renfer (Uniterre), Johann Dupuis (EàG Lausanne), Stéphane Mustaki (Pro Natura), Steve Montandon (Jeunes Agriculteurs vaudois) et Ella-Mona Chevalley (Ensemble à Gauche Vaud) lors de la conférence «comment concilier luttes paysannes et luttes écologiques?»
Guillaume Matthey

En préambule, l’état déplorable de la paysannerie en Suisse a été rappelé. Niveau très bas du salaire médian des agriculteur·ices, conditions de travail rudes, concentration et disparition des petites et moyennes exploitations et politique très problématique du duopole orange… 

Puis, le modérateur Johann Dupuis (Ensemble à Gauche Lausanne) a soumis trois thématiques en débat pour les intervenant·es: celle de l’alternative au libre-échange en matière agricole: faut-il y mettre fin? Par quoi le remplacer? L’amélioration des conditions de vie des paysan·nes s’opposent-elles au développement de pratiques plus écologiques: Comment les concilier? Enfin, la production de viande a été questionnée: quelle est la place de l’alimentation végétarienne dans une perspective d’autosuffisance alimentaire? Un quatrième enjeu, celui de l’accès à la terre, n’aura malheureusement pas pu être abordé par manque de temps, bien qu’il mérite un développement propre. 

Abolir le libre-échange et la production de viande?

Si les accords de libre-échange ont été dénoncés par l’ensemble des participant·es, ils ne l’ont pas été de manière uniforme. Certain·es ont évoqué le fait que la Suisse, pays d’exportation, ne peut y renoncer, mais doit surtout réglementer plus sévèrement les contingents à l’importation. D’autres souhaitaient exclure les produits agricoles de ces accords. 

En Suisse, le taux d’autosuffisance alimentaire se situe entre 45% et 50%, selon la méthode de calcul utilisée. Ainsi, la population suisse ne pourrait se passer de l’importation de produits alimentaires en l’état actuel. La question se pose alors du choix des aliments que nous voulons importer et, surtout, à quel prix humain et écologique. Pour réduire notre dépendance aux importations, il faut définir ce que nous voulons produire. Le fait que près de 48% des prairies et pâturages sont destinées à la production de viande et que certaines d’entre elles pourraient être converties en terrains agricoles – la plupart l’étaient d’ailleurs par le passé – permet de relancer le débat sur l’autosuffisance alimentaire: l’augmentation de la surface agricole destinée à l’alimentation humaine permettrait en effet de nourrir jusqu’à 2 millions de personnes en plus en Suisse. 

Quelles alternatives pour l’agriculture de demain?

Quelques points d’accord entre les intervenant·es se sont dégagés: la nécessité de lutter contre le libre-échange des denrées agricoles, la stérilité de l’opposition entre pratiques écologiques et production agricole ainsi que la priorité accordée à la diminution de la production de viande. Les solutions proposées variaient toutefois. 

Les intervenant·es ont souligné plusieurs fois que leurs faibles revenus freinaient l’abandon des pratiques les plus nuisibles pour la santé, le climat et la biodiversité, mais plus rentable d’un point de vue marchand. À l’autre bout de la chaîne, l’extension de la précarité interdit à toute une frange de la population de se nourrir avec des produits qui respectent le climat.

La proposition la plus intéressante pour sortir de ce cercle vicieux est celle de l’assurance sociale alimentaire (ASA). Basée sur le modèle de l’AVS, à savoir une cotisation paritaire entre employeur·euse et employé·es prélevée sur les salaires. Celle-ci offrirait à chaque individu entre 200 et 300 francs par mois pour acheter des aliments de qualité, régionaux, et rémunérateurs pour les producteurs·ices. Cette assurance permettrait de sortir réellement l’agriculture du marché et des subventions étatiques perçues négativement par les agriculteurs·ices – alors qu’ils et elles en bénéficient – tout en permettant aux collectifs de consommateur·ices d’influer directement sur la manière dont ils et elles veulent que leur nourriture soit produite, renouant ainsi avec la tradition coopérativiste. En ce sens, elle permettrait également de renforcer la démocratie alimentaire et la planification écologique, en favorisant les circuits courts pour l’ensemble des maillons de la chaîne – de la production à la récupération des invendus en passant par la transformation, la distribution et la consommation. Enfin, la sécurisation des revenus des agriculteurs·ices faciliterait les adoptions des méthodes de production écologique. 

En parallèle, les Cantons et les communes pourraient remettre gratuitement des terrains agricoles à des collectifs de production écologique ou favoriser les produits locaux dans le domaine de la restauration collective – secteur qui a un fort potentiel de changement. Au niveau fédéral, la constitution d’un fond pour la reconversion professionnelle dans le domaine agroécologique serait également une mesure pertinente. 

Au vu des nombreux problèmes évoqués, les mobilisations agricoles vont vraisemblablement se poursuivre et nous serons amenés à nous y investir. Cette table-ronde constituait ainsi une bonne première étape pour se former et préparer notre intervention dans les luttes paysannes! 

Térence Durig