Ronald Reagan, cow-boy néolibéral
Ronald Reagan, cow-boy néolibéral
Acteur dune prodigieuse médiocrité et 40e président des Etats-Unis, Ronald Reagan sest éteint le 5 juin dernier, à lâge de 93 ans. Quiconque doutait de linféodation des médias au néolibéralisme aura pu constater à cette occasion laffection quils éprouvaient envers celui qui fut lun des principaux promoteurs de cette doctrine à léchelle planétaire1. «Lhomme qui a fait tomber lEmpire du Mal», titra Le Monde, en référence à la stratégie de course aux armements censément responsable de la chute de lUnion soviétique. «Une légende américaine», renchérit Libération, qui sautorisa néanmoins une demi réserve concernant le maccarthysme hystérique de lintéressé. Un commentateur de la BBC britannique entreprit de mettre tout le monde daccord, en affirmant que «Reagan était aimé même par ses adversaires politiques»2.
Tout le monde, hormis bien sûr les dizaines de milliers de femmes et dhommes que ladministration Reagan (1981-1989) envoya ad patres à un âge nettement moins canonique que celui du défunt président. Selon le politologue Chalmers Johnson, «( ) les années Reagan constituèrent la pire décade pour les pays dAmérique centrale depuis la conquête espagnole.»3 Lune des premières cibles de la politique étrangère de Reagan dans la région fut le Guatemala. En 1982, un coup dEtat fomenté à Washington porta au pouvoir le général Efrain Rios Mont. Résultat: entre 50000 et 75000 morts, victimes de la répression dun dictateur qui affirmait qu«un Chrétien doit se balader avec sa Bible et sa mitrailleuse»4.
Dans la foulée, Reagan renversa le président de Grenade Maurice Bishop, dont le tort était de mettre son aéroport à la disposition de Cuba pour le transport de guérilleros en Afrique, et lui substitua un gouvernement à sa botte. Le Salvador (70000 morts environ) et le Honduras, où sillustra John Negroponte, spécialiste ès contras et actuel ambassadeur des Etats-Unis en Irak, connurent peu après un sort analogue.
Mais cest au Nicaragua que se révéla une fois pour toutes la personnalité de celui que Margaret Thatcher, complice néolibérale de toujours, qualifiait de «grand libérateur»5. La révolution sandiniste avait mis un terme à la dictature de Somoza en juillet 1979. Reagan nourrit une rancune tenace envers Jimmy Carter, le président démocrate de lépoque, pour avoir laissé sombrer dans le socialisme un pays quil considérait comme la propriété privée des Etats-Unis6. Une fois aux affaires, il lança les contras à lassaut du peuple nicaraguayen7. Selon Noam Chomsky, la proportion de victimes de cette répression rapportée à la population totale du Nicaragua équivaudrait au massacre de 2.5 millions de personnes dans un pays de la taille des Etats-Unis un chiffre supérieur au nombre des victimes américaines de lensemble des guerres dans lesquelles les Etats-Unis furent impliqués, y compris la guerre civile8. Le gouvernement sandiniste porta laffaire devant la Cour internationale de justice, qui condamna le gouvernement américain pour ses agissements en 1986.
Il faut dire quau moment de son accession au pouvoir, Reagan avait une longue expérience de l«anti-communisme» à son actif. Le futur président prend la tête de la Screen Actors Guild le syndicat des acteurs américains en 1947. Initialement dobédience démocrate, il adhère rapidement au parti républicain, et au fondamentalisme chrétien quil fut lun des premiers politiciens à utiliser comme argument électoral. Commence alors la croisade contre l«Empire du Mal», quil inaugure en 1947 en dénonçant nombre de ses collègues acteurs à la commission parlementaire de MacCarthy consacrée aux «activités anti-américaines».
Elu en 1966 au poste de gouverneur de la Californie, Reagan aura loccasion dy tester les politiques antisociales quil mettra en uvre par la suite à léchelle du pays. Baisses dimpôts à destination des classes aisées, coupes budgétaires dans les programmes sociaux, augmentation des droits de scolarité et cadeaux fiscaux aux entreprises figurent en bonne place dans son arsenal politique. En mai 1969, Reagan donne lordre à la Garde nationale de réprimer une manifestation estudiantine pacifique à lUniversité de Berkeley, accusant ses participants dintelligence avec lennemi communiste.
Il est communément admis que Reagan fut lun des deux instigateurs lautre étant le pape Jean Paul II de la chute de lUnion soviétique. La course aux armements décidée par son administration aurait forcé lURSS à réorienter massivement ses investissements dans ce domaine, et aurait provoqué son écroulement économique et institutionnel. Selon lancien ambassadeur des Etats-Unis en Union soviétique George Kennan, cette vision des faits est purement et simplement mythologique9. Dune part, la décrépitude de lempire soviétique était irréversiblement entamée dès avant larrivée de Reagan au pouvoir. Dautre part, lagressivité de ce dernier envers lURSS aurait contribuée à renforcer les partisans de la ligne «dure» au Kremlin. Si bien que selon Kennan, non seulement Reagan na pas provoqué la chute du lUnion soviétique, mais sa politique en a vraisemblablement prolongé la survie.
Razmig KEUCHEYAN
- Voir Keith Dixon, Les évangélistes du marché, Raisons dagir, 1998.
- Cité par David Edwards, «Visions of the Damned», www.zmag.org.
- Ibid.
- Voir «Ce nétait pas un film. Reagan contre lEmpire du Mal», www.reseauvoltaire.org
- Le Monde, 11 juin 2004.
- Voir Miguel DEscoto, «Reagan was the butcher of my people», www.counterpunch.org. Miguel DEscoto fut ministre des affaires étrangères du gouvernement sandiniste.
- Notamment au moyen de financements provenant de la vente darmes à lIran, alors en guerre contre lIrak, également armé par les Etats-Unis.
- Voir linterview de Noam Chomsky sur le site www.commondreams.org
- Voir William Blum, «The Myth of the Gipper», www.counterpunch.org