Service postal en danger: lettre ouverte à Gygi

Service postal en danger: lettre ouverte à Gygi

Nous publions ci-dessous la lettre ouverte que Claude Calame, professeur honoraire à l’Université de Lausanne, a adressée, le 16 juin, au directeur de la Poste. (réd.)

«Nouveaux prix dès le 1er juin 2004». La longue pratique de la publicité attachée à l’économie néo-libérale nous a appris à nous méfier de tout ce qui est présenté comme «nouveau». «Vous aurez le choix» ajoute cette publicité trompeuse, quand elle n’est pas tapageuse, désormais de mise à la poste. En fait de choix, c’est à un véritable chantage financier que le service de PostFinance soumet ses clients: soit vous conservez votre ancien compte de chèque postal et vous acceptez de substantielles augmentations de tarif pour les mêmes prestations, soit vous confiez à la poste un pécule de Fr. 7500.- et vous bénéficiez d’un nouveau «Set privé» qui vous offre la gratuité sur une partie de ces prestations tout en impliquant l’ouverture de l’un de ces comptes Deposito qui visent à transformer subrepticement la poste en banque.

Entre publicité à l’anglo-saxonne et introduction de mesures tendant à la privatisation d’une entreprise publique indispensable à la cohérence économique et politique du pays, Monsieur le Directeur, vous êtes allé trop loin et vous persévérez, sous prétexte d’indispensables «réformes», dans la voie hypocrite et autoritaire d’une «libéralisation» que personne ne souhaite.

En séparant les différents services dont étaient composés les PTT et dont les profits des uns compensaient les déficits des autres (au bénéfice de la caisse de la Confédération et par conséquent de tous les habitants du pays), en vendant au secteur privé le patrimoine public que représentait un réseau téléphonique fixe parfaitement performant et bon marché, en substituant à un système de tri postal relativement décentralisé un système inefficace et qui entraîne des trajets en camion beaucoup plus longs et nombreux, en ouvrant le trafic des colis à la concurrence avec des entreprises essentiellement américaines qui n’ont aucun égard vis-à-vis de l’environnement et qui pratiquent tarifs prohibitifs et dumping salarial, en supprimant boîtes aux lettres, levées et distributions pour ralentir des prestations que nous payons désormais beaucoup plus cher, en rayant de la carte des villes et villages du pays de nombreux bureaux de poste pour allonger les queues aux guichets subsistants, en prolongeant les heures d’ouverture de ces guichets et en étendant au dimanche un service qui est désormais offert au détriment du personnel, en tentant de péjorer salaires et conditions de travail de vos employés par l’intermédiaire d’une «nouvelle» convention collective de travail, vos prédécesseurs et vous-même avez largement trompé citoyennes et citoyens de ce pays.

Autant le vote contre l’ouverture du marché de l’électricité que les sondages ou les manifestations suscitées par la suppression de certains bureaux de poste le montrent: le public ne désire ni la privatisation d’un service postal encore récemment efficace, ni sa transformation en institut bancaire; il ne tient pas à ce que les bénéfices tirés du travail de ses employés et de mesures restrictives de «rationalisation» finissent dans la poche d’une poignée d’actionnaires; il ne veut pas qu’une situation de concurrence entraîne, comme c’est le cas pour Swisscom, une dégradation des prestations doublée de frais publicitaires démesurés; il est opposé à ce que la poste suisse conquière des parts de marché dans les pays voisins. Une aventure Swissair lui suffit. La poste est un service public dont on peut exiger qu’il couvre ses frais, mais qui ne doit pas engendrer les profits propres à la logique capitaliste.

Pour sauver la Poste d’ambitions contraires aux intérêts de la population et à la cohésion sociale du pays, je me permets de demander à votre autorité de tutelle, soit Monsieur le Conseiller fédéral Moritz Leuenberger, de renoncer à vos services, et au Président du parti socialiste suisse, soit Monsieur Hans-Jürg Fehr, une exclusion qui aurait dû être prononcée depuis longtemps.

Veuillez croire, Monsieur le Directeur, à mon profond découragement face à la dégradation volontaire d’un service dont employés et clients pouvaient tirer une certaine fierté sociale,

P.S. Par courrier séparé, je vous retourne votre publicité vacancière, vaine et coûteuse, «Prenez le large» ainsi que l’hypocrite questionnaire «Satisfaction de la clientèle 2004» qu’à nos dépens vous avez réussi à confier à un institut privé.

Claude CALAME