Conseil général de l’OMC: les États-Unis triomphent à Genève

Conseil général de l’OMC: les États-Unis triomphent à Genève

Dans un bilan à chaud des accords conclus par le Conseil général de l’OMC, en juillet dernier, à Genève, Walden Bello et Aileen Kwa* analysent le sens de la victoire des Etats-Unis et dénoncent le rôle joué par le Brésil et l’Inde. Nous en présentons ici une synthèse d’après le dernier bulletin de Focus on the Global South (n° 103, août 2004). Elle mérite toute notre attention en raison des espoirs exagérés placés par certains, après Cancun, dans le Brésil de Lula et L’Inde du Parti du Congrès. L’occasion de vérifier une fois de plus, combien la politique commerciale est à la fois une affaire nationale et une affaire de classe, au nord comme au sud.

Le document cadre adopté par le Conseil général de l’OMC à Genève, en juillet dernier, constitue une victoire pour les superpuissances commerciales, avant tout les Etats-Unis. Elle permet de sortir de l’impasse de Cancun. Pour les pays du Sud, c’est un échec, même si le Brésil et l’Inde estiment avoir tiré leur épingle du jeu.

Nouvelle stratégie de négociation

Sur le plan institutionnel, le Conseil général semble avoir pris la place de la Conférence ministérielle comme instance de décision suprême. Ce caucus plus discret suscite moins de contestation; de surcroît, il réunit des négociateurs professionnels, moins enclins à tenir compte de l’opinion de leur pays.

Quarante ministres seulement assistaient au Conseil général de juillet. Certains acteurs clés de Cancun, comme le Kenya et le Nigeria, n’étaient pas représentés. La majorité des Etats n’avaient pas pris conscience de l’importance de ce sommet, la plupart des ONG et le mouvement altermondialiste non plus.

A Cancun, selon l’ambassadeur brésilien C. Huguenuy, le G20 (Forum des pays émergents) avait réussi à «briser le monopole de l’Union Européenne et des Etats-Unis sur les négociations». Pour son ministre de tutelle, C. Amorim, le système commercial mondial allait se «rapprocher […] des besoins de ceux qui avaient été marginalisés».

Sud divisé, Nord triomphant

Plusieurs Etats du Sud craignaient à juste titre que certains leaders du G20 – de gros exportateurs agricoles, comme le Brésil – privilégient la libéralisation des marchés sur la protection de l’agriculture paysanne, raison pour laquelle le G33 (groupe des pays «en développement», importateurs de produits agricoles) a continué à mettre l’action sur des mesures de protection. C’est pourquoi aussi, le G90 (Groupe des pays pauvres) s’est constitué.

C’est dans ce contexte que Washington et Bruxelles ont décidé d’associer plus étroitement les deux principaux leaders du G20 aux négociations, dès avril, dans le cadre d’un groupe informel – les Cinq partis intéressés (FIPS en anglais), comprenant les USA, l’UE, l’Australie, le Brésil et l’Inde. C’est ce cercle restreint qui est à l’origine du texte adopté en juillet.

Cette stratégie des USA et de l’UE a été couronnée de succès. Les deux superpuissances commerciales vont bénéficier directement de la réduction des tarifs non agricoles, en particulier les plus élevés. De surcroît, les USA ont réussi à préserver une portion considérable des subsides qu’ils versent à leur agriculture. Quant à l’Union Européenne, elle a réussi à empêcher toute baisse de tarifs significative sur une série de «produits sensibles», soit 20 à 40% de son agriculture. (…) Comme le notent Walden Bello et Aileen Kwa, «il est prévu que le niveau de subvention [des deux géants] sera maintenu, voire augmenté».

L’agrobusiness brésilien lâche les pauvres

L’agrobusiness brésilien a de bonnes raisons d’être satisfait. En revanche, les laissés-pour-compte sont légions:

  • La majorité des pays du Sud, qui s’étaient opposés à la réduction des tarifs sur les produits non agricoles et n’avaient pas accepté d’augmenter leurs offres de services à libéraliser. Ils continueront à voir leurs marchés inondés par les biens et services du Nord.
  • Les pays africains producteurs de coton, qui n’ont pas pu discuter des subsides versés aux producteurs US.
  • Le Groupe des 33, qui n’a reçu que de vagues promesses de négociations ultérieures sur les mesures de protection spéciales qu’il réclame.

Quel lesdership pour le Sud?

De cette expérience, Walden Bello et Aileen Kwa tirent deux conclusions. D’abord, «Les superpuissances commerciales ont appris de leur débâcle de Cancun. Le passage d’une stratégie de confrontation à une stratégie de cooptation et de subtile «division pour régner» a permis de rompre la superficielle ‘Unité du Tiers-Monde’ établie à Cancun. (…) Durant et après Cancun, le G20 était envisagé par certains cercles comme l’artisan d’un tournant majeur dans l’ordre commercial global. (…) La réalité, c’est que le G20, en particulier le Brésil et l’Inde, a été intégré dans les rangs des puissances commerciales clés, mais il devient de plus en plus clair qu’il en a coûté la dilution du pouvoir de négociation du Sud.

Ensuite, «plus que jamais, le Sud manque d’un leadership capable de prendre des risques pour l’ensemble et de rejeter la tentation d’accepter de souscrire à des gains limités, et peut-être illusoires, pour un seul pays. Beaucoup ont attendu que les leaders du G20 remplissent ce rôle. Dans la première rencontre de l’après-Cancun, ceux-ci n’ont pas répondu à ces attentes». Pour cela, il faudrait qu’ils assument clairement la défense des intérêts des masses déshéritées, et non ceux de l’agrobusiness, fut-il du Sud…

* Respectivement, Directeur exécutif et Associé de Recherche de Focus on Global South.