Il y a 25 ans, la victoire sandiniste redonnait espoir à l’Amérique latine

Il y a 25 ans, la victoire sandiniste redonnait espoir à l’Amérique latine

Le 19 juillet 1979, après une courte offensive finale déclenchée en mai – et après une décennie de guérilla –, le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) renversait la dictature de la famille Somoza, au pouvoir depuis un demi-siècle. Première victoire depuis le 1er janvier 1959, lorsqu’à Cuba le Mouvement du 26 Juillet avait renversé la dictature de Batista. 20 ans plus tard, l’Amérique latine – victime des dictatures répressives – voyait resurgir le rêve d’une révolution possible.

Durant ces 20 années, l’Amérique latine avait connu une succession de tragédies, avec l’instauration de dictatures militaires en Argentine, au Brésil, au Chili, en Uruguay, en Bolivie; sous oublier les antiques dictatures familiales du Paraguay (Stroessner), du Nicaragua (les Somoza) et d’Haïti (les Duvalier).

La «doctrine de la sécurité nationale» – appliquée par les comparses locaux des Etats-Unis – s’appliquait alors sur une bonne partie du continent, avec plusieurs objectifs:

  • freiner la montée du mouvement social, à la fin des années 60;
  • «châtier» les processus et les gouvernements populaires: Salvador Allende au Chili (1970-1973) ou Hector Campora en Argentine (1973); et surtout créer les conditions d’application du néo-libéralisme comme modèle économique dominant.
  • Autre point à l’ordre du jour: la liquidation des importantes organisations politico-militaires surgies à la fin des années 60 et au début des années 70: les Tupamaros en Uruguay, les Montoñeros et l’Armée révolutionnaire du peuple (ERP) en Argentine; le Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) au Chili; l’Armée de libération nationale de Bolivie (ELN-B); les FARC et l’ELN en Colombie…

Une méthode valable pour la prise du pouvoir

Dans ce contexte de répression continentale, la symbolique de la victoire sandiniste en juillet 1979 transmettait des messages politiques significatifs:

  • la lutte armée permettait de prendre le pouvoir dans des situations où les espaces démocratiques étaient limités ou inexistants;
  • la victoire du FSLN démontrait la nécessité d’une politique d’alliance large pour développer un projet national. Sur le plan interne, plus qu’un parti léniniste classique, le FSLN était une organisation plurielle, composée de trois tendances (guerre prolongée à la campagne, guérilla urbaine, ligne insurrectionnelle). Ces trois tendances s’unifièrent en septembre 1978, après l’échec d’une première insurrection.
  • Sur le plan externe, le FSLN isola la dictature somoziste, avec la formation d’une alliance pluriclassiste.. Tous les secteurs de la société nicaraguayenne – sauf évidemment Anastasio Somoza et ses partisans… – furent invités à participer à cette alliance, exprimée dans la composition de la première junte de reconstruction nationale (JGRN), issue de la victoire du 19 juillet: même si le sandinisme – avec Daniel Ortega Saavedra, Sergio Ramirez Mercado et Moïses Hassan – y était hégémonique, la JGRN comptait dans ses rangs Violeta Barrios de Chamorro (élue à la présidence en 1990 contre le candidat du FSLN, Daniel Ortega) et Alfonso Robelo, représentant du Conseil supérieur de l’entreprise privée (COSEP) – c’est-à-dire les secteurs de la bourgeoisie opposés à la famille Somoza.

Un programme attractif

Si, à ses débuts, le sandinisme au pouvoir se définissait par la lutte armée et l’option en faveur d’un projet national, la révolution nicaraguayenne apparut – de par l’originalité de ses postulats politiques – un «modèle» potentiel pour les autres pays du continent (ou même du «Tiers Monde»). Le programme du FSLN reposait sur 4 axes:

  • le pluralisme politique et syndical (les premières élections libres furent convoquées en 1984);
  • un système d’économie mixte, basé sur la coexistence entre le secteur privé et le secteur d’Etat, y compris en combinant ces deux formes de propriété;
  • le non-alignement international;
  • la participation active du peuple, en y intégrant les secteurs chrétiens socialement engagés.

Ce modèle de pouvoir révolutionnaire ne se définissait pas expressément comme «socialiste». Il suscita un intérêt significatif parmi les secteurs les plus divers en Amérique latine: des gouvernements «démocratiques» existants (Mexique, Pérou, Panama, Venezuela) aux survivant-e-s des guérillas latino-américaines (qui s’auto-convoquèrent solidairement au Nicaragua durant la guerre de libération en 1979 et durant les années 80). Avec ses principes simples, didactiques, originaux et novateurs, le sandinisme représentait une contestation sérieuse de la stratégie des USA (la «doctrine de la sécurité nationale») et pouvait exercer une attraction réelle pour tout un continent las d’être perpétuellement victime des interventions et des pressions nord-américaines. Cet aspect très préoccupant pour l’administration nord-américaine de Ronald Reagan fut sans aucun doute la raison essentielle pour le déclenchement par les USA, dès 1983, d’une guerre contre-révolutionnaire qui coûta au Nicaragua 17 milliards de dollars (50 années d’exportation, selon les chiffres de cette époque) et plus de 50000 victimes. Cette guerre, qui épuisa le sandinisme, entraîna – 11 ans après la victoire de 1979 – la défaite électorale du FSLN.

Février 1990: une défaite pour tous

Cette défaite mit, une fois de plus, le Front sandiniste à l’épreuve. Originalité de l’expérience nicaraguayenne, la seconde révolution du continent – qui avait triomphé par les armes – perdit le pouvoir, au moyen des élections démocratiques qu’elle avait organisées. Elle paya un double prix dans les urnes:

  • Le peuple avait voté «avec un pistolet sur la tempe»: le sandinisme incarnait la perspective d’une guerre continuelle, que nul ne supportait plus, en raison de la guerre d’usure suscitée par les USA.
  • Il sanctionnaient les erreurs conceptuelles ou pratiques commises dans la gestion du pouvoir: par exemple, une réforme agraire imposée initialement de haut en bas, sans tenir compte de la mentalité de la paysannerie nicaraguayenne. Une autre erreur, lourde de conséquences: les abus commis, durant la période de transition gouvernementale en 1990, concernant l’appropriation des biens de l’Etat (la «piñata»).

Malgré tout, pour les mouvements sociaux et les organisations populaires d’Amérique latine, le sandinisme – au-delà des structures du FSLN actuel – évoque une expérience de changement, de patriotisme, de dévouement et de souveraineté nationale, d’une guerre inégale entre David et Goliath. Ses idéaux et ses utopies se sont manifestés par des consignes de résistance: «L’avenir a cessé d’être une tentation», «Entre christianisme et révolution, il n’y a pas de contradiction», «La solidarité est la tendresse des peuples»… Une expérience unique, évoquée par l’écrivain argentin Julio Cortazar dans son livre «Nicaragua tan violentemente dulce» (Nicaragua si violemment doux).

Sergio FERRARI