Déficits et dette publics: rompre avec une logique infernale

Déficits et dette publics: rompre avec une logique infernale

Nous l’avons dit et répété dans ces colonnes, les déficits publics et la progression de l’endettement ne tombent pas du ciel. Ils sont le résultat des politiques néolibérales visant à réduire les recettes des collectivités publiques et à tailler dans leurs dépenses afin de réduire la solidarité fiscale et de développer de nouveaux marchés pour les services privés. Les déficits actuels du canton de Genève n’échappent pas à cette politique et ils représentent, à quelques millions près, le total des baisses d’impôts consenties ces dernières années: réduction de 12% de l’impôt cantonal, suppression du droit des pauvres, introduction du taux fixe à 10% pour les entreprises, allègement de divers émoluments auxquels viendra s’ajouter, dans les comptes 2004, la suppression de l’impôt sur les successions en ligne directe. Il faut rompre avec cette logique infernale!

Depuis sa création, solidaritéS s’est non seulement opposé à ces baisses d’impôts mais a proposé des recettes nouvelles, par exemple sous la forme d’une initiative sur les grandes fortunes et les gros bénéfices. En effet, si l’on veut financer les postes nécessaires aux prestations publiques et maintenir les acquis salariaux des travailleurs-euses de la fonction publique, on ne peut pas simplement dire qu’il faut laisser filer les déficits et l’endettement, ce qui correspond à la politique de la droite dans les années 90. Il ne faut pas craindre d’aller à contre-courant et proposer des nouvelles recettes, en mettant évidemment à contribution les contribuables les mieux lotis, qui sont légion à Genève. C’est pourquoi solidaritéS propose à ses partenaires de l’Alliance de Gauche plusieurs projets fiscaux, dont le noyau dur devrait être repris sous forme d’initiatives.

Solidarité fiscale

Au vu des difficultés financières cantonales actuelles et de l’étranglement actuel des services publics, il paraît urgent de remoduler la baisse linéaire de 12% de l’impôt cantonal sur le revenu, introduite récemment sur proposition des libéraux. Cette réduction serait maintenue pour 86% des contribuables qui disposent d’un revenu imposable allant jusqu’à 100 000 francs. Puis, elle serait progressivement réduite jusqu’à un revenu imposable de 210 000 francs pour être totalement supprimée au-dessus de ce plafond. Les recettes supplémentaires provenant d’une telle mesure seraient de l’ordre de 120 millions.

En même temps, nous proposons de formuler précisément le contenu de l’initiative sur les grandes fortunes et les gros bénéfices qui avait été acceptée dans son principe en votation populaire, mais dont le projet de loi d’application a été rejeté. Ainsi, les fortunes supérieures à 1,5 million seraient mises à contribution pendant cinq ans par un prélèvement supplémentaire qui rapporterait 120 millions. De même, la part des bénéfices des personnes morales supérieurs à
1 million serait taxée de façon progressive, jusqu’à un taux plafond de 14% pour un bénéfice de plus de 8 millions. Cette taxation supplémentaire serait maintenue tant que le taux de chômage cantonal reste supérieur à 2%. Elle pourrait rapporter 160 millions aux finances publiques.

Une initiative pour le service public

Il est bien évident que la majorité de droite du Grand Conseil actuel va rejeter nos propositions. Cela pourrait certes changer dans un an, si la droite est battue et que la nouvelle majorité se trouve sous la pression d’un mouvement social fort. Mais ceci est une autre histoire… Dans l’immédiat, solidaritéS est favorable au lancement d’une initiative populaire qui comporte à la fois la réduction progressive de l’abattement fiscal de 12% sur les gros revenus et la taxe supplémentaire sur les grosses fortunes de plus de 1,5 million. A elles seules, ces deux mesures, rappelons-le, rapporteraient quelque 240 millions. Dans la période actuelle, la récolte de signatures permettrait de relancer le débat sur la nature sociale de politique fiscale régressive en cours et de l’étranglement planifié de la prévoyance sociale et des services publics.

Une initiative pour le logement social

Nous allons aussi proposer à nos partenaires de l’ADG un projet de loi visant à financer en partie la politique de logement social du canton par une taxe sur la spéculation. En effet le système du logement subventionné n’aide les locataires que de manière momentanée tout en assurant des bénéfices aux propriétaires. A l’échéance du subventionnement, les logements retournent au marché libre avec les hausses de loyer que l’on connaît. Depuis quinze ans, la part des logements subventionnés n’a pas cessé de diminuer dans le canton. La seule politique alternative consiste à développer le parc de logement aux mains des collectivités publiques pour qu’ils échappent de manière définitive à la spéculation immobilière. Pour cela il faut que l’Etat acquière des immeubles locatifs, comme il aurait pu le faire pour l’Hôtel Carlton, ou en construise lui-même ou par le biais des fondations de droit public ou des coopératives soumises à des règles strictes.

Une telle politique a besoin de ressources régulières, indépendantes des budgets annuels. C’est pourquoi notre projet prévoit de taxer davantage les bénéfices sur les gains immobiliers et de consacrer le produit de ces recettes nouvelles à l’achat ou à la construction d’immeubles répondants aux besoins prépondérants de la population. Alors que nous appelons à dire NON à la vente de l’Hôtel Carlton par la Fondation de valorisation des actifs de la BCG, contestée par référendum en faveur d’un projet de logement social, un tel projet de loi pourrait aussi être lancé comme initiative populaire.

Un débat nécessaire

Nous proposons aussi de déposer une résolution cantonale pour que le canton use de son droit d’initiative auprès des Chambres fédérales afin de proposer un impôt fédéral sur les grosses successions, assorti d’une franchise de 500 000 francs par héritier. Le produit de cet impôt fédéral serait réparti à raison des deux tiers aux cantons et d’un tiers à la Confédération. Actuellement, l’imposition des successions est du ressort cantonal. Or, depuis plusieurs années, cet impôt est progressivement démantelé dans la plupart des cantons au nom de la concurrence fiscale. L’objectif de la droite est de supprimer purement et simplement l’imposition des successions, alors que celle-ci a été une des premières formes d’imposition directe. Certes le rapport de forces politique au niveau fédéral ne permet pas d’espérer actuellement l’adoption d’une imposition des successions. Mais il est nécessaire de lancer le débat dès aujourd’hui, ne serait-ce que pour exprimer clairement une résistance à la vogue des baisses d’impôts qui ne cesse de se développer tant au niveau cantonal qu’au niveau fédéral.

Bernard CLERC