Izquierda Unida et gauche anticapitaliste

Izquierda Unida et gauche anticapitaliste

Nous publions ici la contribution de quatre responsables de la
Présidence fédérale d’Izquierda Unida (Gauche Unie, Espagne),
qui font une série de propositions pour réorienter et réorganiser IU
comme un «parti-mouvement» anti-systémique. Ces réflexions
devraient intéresser les membres et sympathisant-e-s de
solidaritéS, qui partagent largement les mêmes préoccupations.*

1. L’affirmation de notre projet: IU est
indispensable

La nécessité d’une gauche nettement différenciée
du Parti socialiste ouvrier espagnol
(PSOE) est évidente, et ceci pour des motifs
politiques et idéologiques. Cette nécessité
est ressentie et perçue – ou va l’être – par
beaucoup de personnes, compte tenu non
seulement de la nature du PSOE et de son
histoire, mais aussi des politiques menées
par ce parti lorsqu’il est au gouvernement:
même si les rythmes qui permettent à cette
conviction de se traduire en renforcement
d’une autre gauche sont plus incertains que
dans les années 80. Le même phénomène
se produit à l’échelle internationale, compte
tenu de la fin de la «globalisation heureuse»,
des résistances qui se développent dans
diverses parties de la planète et des limites
structurelles rencontrées par les tentatives
sociales-démocrates pour essayer de nouvelles
voies réformistes qui prétendent être
compatibles avec le capitalisme néolibéral.

Reste à savoir quel type de gauche est
nécessaire: à notre avis, il faut aborder cette
question dans son cadre global et, dans
notre cas, européen: celui de la lutte contre
le néolibéralisme et la «culture de l’urgence
» quotidienne. Si nous voulons effectivement
imposer un changement de cours et
commencer à parcourir la route qui mène à
la rupture avec ce «modèle», il manque une
gauche disposée à remettre en cause le
paradigme néolibéral et militariste dominant
dans ses diverses manifestations: il
s’agit de chercher les voies pour contrecarrer
la tendance à l’adaptation ou à la résignation
face à ce paradigme, manifestée
par la majorité de la gauche, dès qu’elle arrive
au gouvernement, au Brésil comme en
Allemagne. Car nous pensons que la défense
conséquente des droits sociaux fondamentaux
et la conquête de réformes partielles
substantielles – capables d’inverser, par
exemple, le sens des gigantesques transferts
de rentes vers le capital, durant ces
deux dernières décennies, ainsi que la nature
impérialiste des rapports «Nord-Sud» –
se heurtent à la dure opposition des pouvoirs
économiques, politiques et culturels
transnationaux. Il est donc nécessaire de
contribuer à un changement du rapport de
forces à l’échelle étatique, macro-régionale
et globale, grâce à la mobilisation sociale,
mais aussi par la reconstruction de cette
autre gauche, à l’échelle européenne et internationale.

C’est pourquoi s’opposer aujourd’hui au
néolibéralisme signifie s’opposer au capitalisme
réellement existant et, dans notre cas,
à sa concrétisation par la volonté de renforcer
l’Union européenne (UE) comme bloc
impérialiste. La gauche nécessaire questionne
donc le «sens commun» dominant, elle
aspire à transformer l’ordre existant à la
base et propose des politiques qui rompent
avec le néolibéralisme et remettent à l’ordre
du jour la nécessité d’un autre monde et
d’une autre Europe.

Tel devrait être le signe d’identité stratégique
commun de IU: choisir l’option d’une
gauche anti-néolibérale et anti-capitaliste.
Mais il est clair aussi que son anti-capitalisme
doit savoir articuler la réponse aux différentes
contradictions, inégalités et injustices
générées par un système qui prétend se
perpétuer comme un «modèle de civilisation
globale», en aspirant ainsi à fournir une
voie alternative. Celle-ci doit être capable de
susciter l’adhésion d’une majorité sociale
en faveur d’un projet socialiste profondément
démocratique et prêt à dépasser radicalement
l’expérience historique du bien
mal nommé «socialisme réel».

Cette gauche nécessaire doit savoir établir
une cohérence entre son discours et son
action: en ce sens, le programme d’action,
le discours et les propositions tactiques ne
peuvent se contredire, et surtout ne peuvent
être contradictoires avec cet horizon anticapitaliste
commun. C’est pour cela que
nous ne partageons pas la volonté de ressusciter
le slogan «être une force de lutte et
de gouvernement», vu qu’il met sur le
même plan des fonctions qui ont un poids
très différent, et priorise, dans la pratique, la
seconde: la gauche nécessaire doit être une
force de lutte, de résistance et de propositions
de transformation sociale; elle doit
subordonner à ces tâches l’option de participer
ou non à des gouvernements (surtout
quand elle y est franchement minoritaire).
C’est pourquoi, lorsque le premier plan
n’est pas garanti par le rapport de forces
dans lequel nous nous trouvons, il serait
mieux d’adopter un principe de précaution,
consistant à rester hors de ces gouvernements,
sans pour autant adopter une attitude
sectaire envers les forces qui ne partagent
pas notre point de vue et, surtout,
envers les secteurs sociaux qui les
appuient.

IU doit démontrer sa capacité à pratiquer
une autre politique et une autre manière de
faire, en mettant au centre de son activité la
lutte pour des revendications qui contribuent
à la mobilisation et à l’auto-organisation
des couches et secteurs opprimés et
critiques, ainsi qu’à la conquête d’une représentation
institutionnelle qui agisse de
manière cohérente par rapport à ces tâches.

La gauche nécessaire essaie par conséquent
aussi bien d’éviter les écueils de l’«institutionnalisation» (qui met la priorité sur la
conquête de positions institutionnelles et
gouvernementales, en subordonnant à cet
objectif le programme et la mobilisation
sociale), que le risque de tomber dans
l’«anti-institutionnalisme» (qui se limite à un
travail dans les mouvements sociaux et
déprécie la nécessité de défendre leurs
revendications dans les institutions).

2. Comment concrétiser le projet de IU
aujourd’hui, dans notre société: un
projet de transformation et alternatif

Intégrant les diverses couleurs des luttes
pour l’émancipation et la survie dans un
horizon de rupture avec le capitalisme, le
projet de IU doit être autonome et différencié
des autres formations: en premier lieu,
du PSOE (avec le gouvernement duquel
nous estimons non-viables des pactes de
stabilité ou de législature), mais aussi des
formations qui cherchent à s’y subordonner.
Evidemment, cette autonomie ne doit pas
empêcher des accords ponctuels et tactiques,
spécialement avec les forces qui se
situent à la gauche du PSOE, mais sans penser
à des alliances stratégiques ou à des
convergences organiques avec ces dernières,
dans le rapport de forces actuel et en
raison des divergences existantes.

L’objectif de IU, dans la prochaine période,
devrait consister à choisir les axes de
conflits et de mobilisations qui permettent
de générer un nouveau cycle de luttes et,
dans ce cadre, une opposition sociale de
gauche au gouvernement du PSOE. Pour
cela, il devrait prioriser le dialogue et la
convergence avec les secteurs critiques de
la société afin de trouver ensemble un
meilleur ancrage social dans le monde,
aujourd’hui fragmenté et affaibli, du travail –
avec une attention particulière à la recherche
de confluences entre travailleurs-euses
«stables» et «précaires», autour d’un syndicalisme
combatif et solidaire – et dans les
différents mouvements de résistance, en
particulier dans le mouvement «anti-globalisation», pour développer leur potentiel
anti-capitaliste et alternatif.

IU doit être consciente que, dans les conditions
actuelles et tant qu’il ne se produit
pas une modification substantielle du
«sens commun» dominant et du rapport
de forces actuel, elle peut avoir seulement
comme référence une minorité sociale critique.
C’est à cette dernière qu’il faut s’adresser
en priorité et avec elle qu’il faut travailler
afin d’y générer la motivation et la
confiance nécessaires pour devenir protagoniste
des luttes et favoriser en même
temps l’incorporation de nouveaux secteurs.
C’est pourquoi il faut savoir répondre
aux différentes lignes de fractures et aux
conflits qui apparaissent publiquement,
sans concessions au discours politique
dominant, que celui-ci vienne du PSOE,
des médias ou des directions syndicales.
IU doit changer beaucoup sous ce rapport,
en sachant faire preuve de fermeté politique
et en évitant de tomber dans la
recherche de la «respectabilité». Une excellente
mise à l’épreuve doit être la campagne
contre le projet de «Constitution»
européenne. En résumé, IU doit savoir se
profiler comme une force de divergence et
non de consensus sur les questions politiques
centrales:

  • les politiques économiques et sociales et les nouvelles privatisations (…);
  • l’«anti-terrorisme»: en renonçant à participer à des pactes qui restreignent les libertés et se refusent à reconnaître la nature politique des conflits – et donc la recherche de solutions politiques, en Euzkadi ou par rapport au monde arabe et islamique;
  • la monarchie: en défendant de manière cohérente l’option républicaine;
  • le Sahara: en dénonçant son abandon par des accords gouvernementaux avec le Maroc;
  • l’immigration: en exigeant la régularisation de tous les «sans-papiers»;
  • la remise en cause de l’actuel «modèle» de production, de transports et de consommation (comme nous le voyons aujourd’hui avec la crise énergétique);
  • et tant d’autres thèmes dans lesquels la «pensée unique» prétend continuer à s’imposer.

Pour ces raisons, IU doit savoir faire valoir
son poids dans les mobilisations et aussi
son activité institutionnelle, en démontrant
qu’elle est une force de protestation, mais
qu’en même temps elle présente des propositions
et des alternatives viables et réalisables.
Actuellement, le travail dans le
cadre des mairies doit servir d’exemple:
c’est donc sur ce terrain qu’il faudra faire
un effort énorme et constant pour confirmer
empiriquement qu’une politique différente
de celle du PSOE et des autres forces
de gauche est possible, en faisant sienne la
démocratie participative comme pratique
quotidienne et la lutte contre toute forme
de corruption et pour les droits sociaux et
des services publics de qualité.

3. Comment réussir à organiser au
sein de IU les secteurs les plus actifs
de la société civile critique? Comment
obtenir que notre structure organisationnelle
permette de promouvoir la
démocratie interne, la participation et
l’engagement?

Dans différentes contributions présentées
au sein de fédérations de IU, comme celles
d’Andalousie ou de Madrid, à partir de positions
critiques, ont été présentées différentes
suggestions et propositions visant toutes
à remettre en cause le type de parti réellement
existant dans IU et à réactualiser la
nécessité d’un «parti-mouvement» horizontal,
participatif, pluraliste et déprofessionnalisé
autant que possible. Nous partageons la
majorité de ces propositions (…).

Il nous manque actuellement la volonté d’opérer
un tournant radical pour démontrer
que la centralité de cette organisation doit
reposer sur les assemblées, sur la délibération
et la prise de décision par celles-ci des
principales orientations et politiques développées
par IU dans les mouvements
sociaux et les institutions. [Cet effort] (…)
devra s’appuyer également sur une réanimation
des structures de réflexion, qui
devraient promouvoir des réunions régulières
des activistes de IU dans les différents
mouvements sociaux: les syndicats, les
associations d’habitant-e-s, les écologistes,
les féministes, le mouvement anti-globalisation;
il serait possible de combiner les
dimensions territoriale, sectorielle et transversale
pour trouver de nouvelles formes de
métissage à l’intérieur et à l’extérieur de IU
entre les différentes «cultures» et styles de
travail (…). Les organes de direction doivent
se baser sur un fonctionnement effectivement
collégial et respectueux de la pluralité,
en remettant en cause le «modèle» unipersonnel
jusqu’ici dominant (…). Les
responsables devront rendre des comptes
périodiques devant les directions et assemblées
correspondantes – qui pourraient les
révoquer – et s’en tenir aux décisions prises
dans ces organismes; ils devront être rétribués
au niveau du salaire moyen d’un travailleur
et pratiquer la rotation des charges;
en résumé, appliquer de manière cohérente
des principes qui servent de contre-tendances
aux processus de bureaucratisation et
d’oligarchisation des formations politiques.(…)

4. Comment réussir à articuler de
manière adéquate le fédéralisme, la
pluralité, l’efficacité et la crédibilité
dans l’action politique?

Par fédéralisme, nous entendons l’autogouvernement
des différentes parties du pays
plus le gouvernement partagé entre elles, en
maintenant différentes formes de coopération
qui tiennent compte de notre réalité plurinationale;
nous concevons la pluralité
comme la libre expression et le respect des
différents courants d’opinion et la recherche
du consensus autour d’un projet et d’un programme
communs, sans nier pour autant le
droit à la divergence; nous optons pour un
concept d’«efficacité» qui (rejetant la subordination
au temps médiatique et à son ordre
du jour) ne prime pas sur celui de la démocratie,
c’est à dire basé sur un processus de
décisions qui soit capable de répondre à la
dynamique changeante de la vie politique
sans pour autant générer des effets pervers
internes, et en comptant sur l’utilisation optimale
des nouvelles technologies de l’information.
Nous sommes convaincu-e-s qu’il
est possible de récupérer une crédibilité
comme force de gauche anti-capitaliste et
alternative. Par cette voie, il sera peut-être
possible de converger et de se rénover avec
beaucoup de personnes actives et critiques
au sein des différents mouvements sociaux,
qui ne se reconnaissent pas dans le PSOE,
les gauches nationalistes, ou d’autres de l’aire
non-étatique.(…)

Susana LÓPEZ, Manolo MONEREO,
Pedro MONTES et Jaime PASTOR

* Traduction et coupures de notre rédaction.