Falludja «pacifiée»: une «utopie monstrueuse»

Falludja «pacifiée»: une «utopie monstrueuse»

Il paraît vraisemblable que le plan US pour «reconstruire» Falludja transforme la cité en une sorte de Cité-Etat totalitaire visant au contrôle absolu de la population civile. Nous reprenons les éléments de cet article d’une étude du professeur Michael Schwartz, professeur de sociologie à la State University de New York à Stony Brook, publiée par «Z Magazine».

Dans leurs fantasmes, les planificateurs US aimeraient mettre en place ce que les sociologues appellent une ‘institution totale’. Comme un hôpital psychiatrique ou une prison, Falludja – au moins telle que ré-imaginée par les Etats-Unis – serait un endroit où la surveillance constante s’étendrait à la vie quotidienne des habitant-e-s, et où la compétence d’interdire tout comportement «suspect» deviendrait la norme. Mais une ‘institution totale’ est sans doute un terme trop ‘technique’ pour décrire des activités qui violent aussi clairement le droit international et le sens moral le plus élémentaire. Ceux qui cherchent une traduction plus chargée de force émotionnelle pourront adopter l’une des expressions utilisés par Pepe Escobar, le correspondant de Asia Times: soit un «Goulag américain», pour ceux qui préfèrent l’imagerie stalinienne, soit un «camp de concentration», pour ceux qui préfèrent la version nazie. Peut-être devrions-nous simplement parler d’un Etat-(cité) policier perfectionné.

Restrictions à l’entrée et à la sortie de la cité

Selon le général Sattler, cinq routes d’accès seulement resteront ouvertes (…). Des checkpoints seront établis aux cinq points d’entrée, contrôlés par les troupes US, et toute personne entrant ‘sera photographiée, aura ses empreintes digitales relevées et l’iris de ses yeux scanné avant de recevoir une carte d’identification’. Bien que Sattler ait rassuré les reporters US sur le fait que cette procédure ne prendrait que dix minutes, elle signifie que l’entrée et la sortie de la ville dépendront uniquement de l’établissement de cartes d’identification, un système voisin de celui du système des laissez-passer utilisés pendant l’apartheid en Afrique du Sud.

Contrôle de la circulation des habitants

Selon les informations recueillies par Dahr Jamail, un journaliste indépendant, ces cartes d’identification seront conçues comme des badges, qu’il faudra arborer sur les vêtements, et qui porteront l’adresse personnelle de chacun. Un tel système ne peut avoir qu’un but: contrôler en permanence toute personne, de façon à ce que les patrouilles US puissent vérifier rapidement si quelqu’un n’est pas enregistré comme citoyen résident ou se trouve apparemment trop éloigné de son lieu de domicile.

Les véhicules privés seront aussi totalement exclues de la ville. C’est une «précaution contre les voitures piégées», que le général Sattler désigne comme «les armes les plus meurtrières dans l’arsenal des insurgés». Dès lors qu’un quartier sera rouvert à la population, les résident-e-s de retour seront astreints à parquer leur voiture à l’extérieur de la ville et conduits en bus à leur domicile. Il n’a pas été précisé comment ils se déplaceront après cela au sein de la ville. Comment ils pourront transporter du matériel de construction pour réparer leurs maisons dévastées est aussi un mystère.

Travail militarisé

Comme Falludja est actuellement totalement dévastée, et que les seuls emplois disponibles vont être, au moins temporairement, fournis par l’aide US à la reconstruction, cela signifie que les Etats-Unis conserveront un droit de vie ou de mort sur les habitant-e-s de la cité. Seuls ceux d’entre eux déclarés non-insurgés par les services US – sur la base de renseignements notoirement faux – seront en position de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille.

Ceux qui seront engagés dans la reconstruction de la ville, c’est-à-dire ceux qui auront un gagne-pain, seront organisés en «brigades de travail». Les informations les plus fiables indiquent que ce seront des bataillons de style militaire, commandés par les forces armées US ou irakiennes. Ici comme ailleurs, le but du plan est clairement de maintenir sous stricte surveillance les hommes ayant l’âge de combattre, considérés comme insurgés potentiels.

Une utopie monstrueuse

Au cas où le sens profond de tout cela vous aurait échappé, le major Francis Piccoli, porte-parole du 1er Corps expéditionnaire des marines, qui dirige l’occupation de Falludja, a fourni le commentaire suivant à Katarina Kratovac (Associated Press): «Certains peuvent considérer cela comme une expérience du type ‘Big Brother is watching you’, mais il s’agit en réalité de simples mesures de sécurité pour empêcher les insurgés de revenir». En fait, il s’agit des deux.

Ce plan va probablement déboucher sur une impasse. Il en dit plus sur l’échec des efforts de l’armée US pour combattre l’insurrection en Irak et sur la désorientation de ses stratèges, que sur l’avenir de Falludja. Dans ce contexte, l’élément le plus révélateur est sans doute l’interdiction de toutes les voitures. Son respect strict pourrait rendre la reprise de la vie impossible dans cette ville, ce qui démontre à la fois le caractère irréaliste de la vision US et le déni brutal des besoins et des droits des habitant-e-s de Falludja.

Cette «utopie monstrueuse» découle directement du fait que la conquête de Falludja, en dépit de sa destruction, n’a visiblement pas accompli son but essentiel: «Liquider les militant-e-s et les insurgé-e-s et briser les reins de la guérilla de Falludja». (…) En conséquence, si les Etats-Unis laissaient les habitant-e-s outragés regagner leurs quartiers sans encombre, ils devraient alors affronter une nouvelle lutte dans les ruines de la ville (comme cela continue à être le cas aujourd’hui).

L’impasse US est évidente dans la volonté de traiter tous les Fallugiens comme des insurgé-e-s. C’est le destin inévitable d’une armée d’occupation qui cherche à extirper une «résistance populaire». Comme le général Sattler l’explique: «Lorsque nous aurons nettoyé chaque maison dans un secteur, alors le gouvernement irakien notifiera à ses habitant-e-s qu’ils sont encouragés à revenir». En d’autres termes, chaque secteur de la cité doit être entièrement vidé de toute vie, de telle façon que les militaires puissent s’assurer qu’aucun insurgé potentiel ne pourra s’infiltrer dans le nouvel ordre.

La stratégie de l’Etat policier à Falludja est un signe de faiblesse, non de force. Comme l’attaque initiale sur la ville, elle est vouée à l’échec. Elle aura cependant des résultats pervers en termes de souffrances croissantes pour les Irakien-nes.