Marchandisation de l’électricité: vers un nouveau référendum fédéral

Marchandisation de l’électricité: vers un nouveau référendum fédéral

Le 10 décembre le Conseil fédéral rendait public et transmettait au parlement son projet définitif de nouvelle loi sur l’ouverture du marché électrique. Le projet initial mis en consultation jusqu’à fin septembre par Moritz Leuenberger & Co, visant à renverser la décision populaire de 2002 refusant la LME et sa libéralisation-privatisation du secteur électrique, est dépassé par la droite…

L’ensemble de la loi est placé sous le signe de la tromperie sur la qualité de la marchandise: le Conseil fédéral présente en effet son texte sous le label de… LApEl, signifiant «Loi sur l’approvisionnement en électricité». Effort de marketing politique qui reconnaît implicitement que parler de marchandisation et de «marché» comme c’était le cas de la Loi sur le marché de l’électricité (LME), n’est guère porteur. Mais pour le Conseil fédéral. comme il l’indique dans son Message «Au titre de la sécurité d’approvisionnement, il s’agit de créer des incitations à plus de concurrence». La «concurrence nationale et la participation à la concurrence internationale dans le domaine de l’électricité» sont d’ailleurs érigés en objectifs mêmes de la loi et inscrits dans son premier article qui en fixe les buts.

Dans le projet initial mis en consultation, l’ouverture du marché devait – dans un premier temps – se limiter aux dits «gros consommateurs», dont la facture électrique portait sur une consommation de plus de 100 MWh par an. A signaler que cette limite correspondait déjà, en Suisse, à quelque chose comme 50 000 entreprises et que c’était la plus grande part de la consommation électrique du pays (53%) environ qui basculait du côté du nouvel ordre – ou plutôt du désordre – libéral. L’ouverture du marché en-dessous de cette «barre» devait se faire par un deuxième arrêté fédéral, sujet à référendum populaire facultatif, cinq ans plus tard.

«Compromis» liquidé

Certains acteurs de ce débat qui, comme la majorité des socialistes et des Verts aux du parlement l’avaient été lors de l’adoption de la LME en 2002, ont été séduits par la construction d’un «compromis» prétendument raisonnable et qui se sont écartés de la position anti-libéralisation claire et sans équivoque du comité référendaire contre la LME, ont dû déchanter.

Dans le projet définitif du Conseil fédéral, le «verrou» des 100 MWh a sauté! Ce sont toutes les entreprises du pays – indépendamment de leur taille et de leur consommation – qui pourront «faire jouer la concurrence» et s’approvisionner où bon leur semble pour tenter de satisfaire leur appétit d’électricité à prix bradés. On passerait ainsi à environ 70% du marché électrique «ouvert» d’un seul coup en 2007.

En fait, la logique de la nouvelle loi a été inversée. Ce ne sont pas les consommateurs au-delà d’un seuil donné qui cesseraient d’être «captifs», pour employer le terminologie néolibérale qui stigmatise les usagers-ères du service public en monopole. La règle serait que tous les consommateurs ont accès au marché, avec une dérogation temporaire pour les seuls ménages qui pourraient au terme de cinq ans, suite à un nouvel arrêté fédéral et à un éventuel vote populaire, rejoindre les élus ayant droit aux délices du shoping électrique…

Réseau au privé

Pour ce qui est du réseau de transport la LApEl la confierait à une société anonyme de droit privé, qualifiée de «nationale» du fait d’une clause indiquant que son capital, doit être détenu majoritairement… par «des entreprises suisses». La surveillance du marché de l’électricité est attribué à une Commission ad hoc instituée et désignée par le Conseil fédéral sans aucun contrôle nii parlementaire, ni populaire qui sera libre d’«édicter les ordonnances nécessaires à l’exécution de la loi» et représenterait le pays «dans les organes internationaux correspondants». Son seul devoir envers les citoyen-ne-s: «informer le public de son activité» et présenter un rapport d’activité annuel au seul Conseil fédéral.

Energies renouvelables sacrifiées

Par ailleurs, les dispositions du projet en faveur des énergies renouvelables sont pour l’essentiel réduites à la possibilité pour le gouvernement de prendre des mesures… en 2030, si la part d’énergies renouvelables n’augmente pas «spontanément» de 10 % d’ici là, par des «mesures librement consenties» par l’industrie.

Bref, le projet de loi a un grand mérite: il a tout pour contribuer à recréer un front référendaire capable de battre une nouvelle fois en votation populaire les visées de ceux veulent «délivrer» le secteur de l’électricité de la logique du service public, de tout contrôle démocratique et de tout par ailleurs guère d’être infléchi. La sous-commission ad hoc du National qui a planché sur le thème s’étant d’ores et déjà prononcée pour faire sauter tout semblant d’étapes vers la libéralisation complète et de liquider l’exception temporaire concernant les ménages.

Dans ce sens, il faut signaler la prise de position nationale du Syndicat des Services publics qui évoque d’ores et déjà le lancement possible d’un référendum fédéral. L’Union Syndicale Suisse a également fait part de son opposition au projet du Conseil fédéral, malheureusement, dans son communiqué elle pleure le compromis perdu en rappelant son acceptation – moyennant telle ou telle condition aujourd’hui jetée aux orties – de mettre le doigt dans l’engrenage de la libéralisation électrique…

economiesuisse pour une autre voie?

Nous l’avons déjà dit, nous défendons quant à nous les objectifs clairs inscrits dans la plateforme du Comité référendaire contre la LME qui déclarait «s’opposer fondamentalement à la libéralisation et à la privatisation de l’approvisionnement en électricité».

De son côté, le lobby patronal economiesuisse n’a pas d’états d’âme, s’il avait soutenu la LME, aujourd’hui il «se demande si la Suisse a besoin d’une loi sur l’approvisionnement en électricité». En clair, il posent la question de savoir si plutôt que d’aller au devant d’un deuxième échec en votation populaire, il ne vaut mieux pas mieux pour eux miser sur la libéralisation «sauvage» sous l’égide de la loi sur les Cartels, de la Commission de la concurrence (ComCo) et du Tribunal fédéral…

Cette position rend d’autant plus important le fait de se préparer sur ce front là, comme sont en train de le faire les organisations genevoises qui ont lancé début novembre une initiative populaire cantonale pour défendre le monopole public en matière d’eau, de gaz et d’électricité!

Pierre VANEK