Iris von Roten, 1917–1990: Femmes en cage

Iris von Roten, 1917–1990: Femmes en cage

Écrivaine, avocate et peintre, elle publie en 1958 «Frauen im Laufgitter» (Femmes en cage), qui déclenche un véritable cataclysme social. Elle a écrit ce livre «pour les jeunes filles qui veulent l’impossible et pour les quelques hommes qui ont assez de curiosité d’esprit pour s’intéresser à la façon dont l’autre côté perçoit la domination masculine». Il a provoqué une telle levée de boucliers, que toute discussion était impossible. Lors de leur conférence de presse en soutien à la candidature de Lilith en Valais (voir ci-contre), les élues du Municipal genevois ont demandé au Département de la culture de soutenir la traduction de ce livre essentiel. Nous en publions ici quelques extraits, tirés du site: http://val-lilith.ch, qui devraient encore faire réfléchir… (réd)

Il n’est pas étonnant que l’on s’accroche fermement à l’image de la «femme moderne», avec sa propre sphère d’activité dans tous les secteurs, son indépendance et sa capacité d’autodétermination. (…) Il n’est pas possible que les femmes doivent encore se battre pour l’égalité de traitement au niveau professionnel et par conséquent pour leur épanouissement, leur indépendance et leur autodétermination. C’est trop grave pour qu’on puisse l’admettre.

Les jeunes femmes entendent depuis trop longtemps parler des incroyables progrès que «la femme moderne» aurait réalisés pour renoncer maintenant au mirage auquel elles ont cru, et réaliser avec consternation que la part du lion, c’est-à-dire la tâche de «conquérir de vastes secteurs d’activité» et d’effacer de la tête des hommes les préjugés par rapport aux soi-disant capacités des femmes, leur revient. Ces préjugés ont du mal à cacher une apologie insolente de la position dominante des hommes aussi bien dans le domaine économique qu’en ce qui concerne leurs rapports avec autrui.

Propagande pour la féminité

Il n’en demeure pas moins que la situation réelle se perçoit aisément. Par contre, la profondeur de la brèche qui existe entre le rêve et la réalité n’est guère reconnue. Cela n’incite plus non plus à la conciliation, ni à lutter pour la pleine égalité de traitement du sexe féminin. A cette indifférence de l’esprit féministe vient s’ajouter la nouvelle propagande pour la féminité. Elle empêche un nombre considérable de femmes de voir le contraste entre les buts du mouvement féministe et ce qu’il a réellement atteint, et leur donne ainsi une vision défavorable du féminisme.

Cette nouvelle propagande – qui marine dans son bouillon de culture depuis plus de 20 ans – se présente comme une pensée ultra féministe qui veut contribuer à mettre en valeur la «vraie nature de la femme», que le féminisme ordinaire n’a pas su apprécier à sa juste valeur. Avec le mythe de la «femme moderne active», la propagande réactionnaire pour la féminité satisfait tout le monde, dans la mesure où elle prétend ouvrir une voie plus subtile que l’exigence de l’égalité des sexes dans sa façon de concevoir l’activité professionnelle des femmes. Pourtant cette propagande n’est rien d’autre qu’une façon d’enjoliver l’injustice subie par la femme, et par là même une arme idéologique pour l’opprimer dans la vie professionnelle et en général; car qui n’a pas de poids économique n’est qu’un jouet. (…)

Emancipation fragile

Les femmes actuelles, qui «ne veulent être rien d’autre que femme», méconnaissent le fait que les modestes améliorations de la position de la femme, dont elles jouissent comme si cela allait de soi, ne s’appuient pas sur l’hypothèse idéologique que la femme ne fait que suivre son mari, mais sur celle d’une personnalité polyvalente et qui a de nombreuses affinités dans la vie. Elles méconnaissent le fait que la «femme moderne» est un phénomène qui peut s’évaporer, si le combat féministe ne se poursuit pas. La «féminité» ou «féminitude» en soi n’est pas un instrument de pouvoir, comme en sont persuadées bien des «femmes modernes et pourtant charmantes». Les femmes en feront à nouveau l’expérience si elles devaient, par aveuglement, perdre les véritables instruments de pouvoir dont les a dotées – dans une certaine mesure – l’émancipation de la femme.

Quels que soient les chants de sirènes entonnés par les apôtres de la féminité afin d’attirer la femme «à la maison» pour y «accomplir sa vocation originale», qui inclut la corvée du ménage, les femmes ne devraient pas faire semblant de ne pas savoir que la collectivité féminine est restée prisonnière pendant des siècles «à la maison», en Europe et ailleurs, et a souffert dans toute sa portée d’un tel amour de son chez soi et d’une telle dépendance. Pendant des générations, les femmes ont été étroitement limitées dans leurs pensées et leurs actions. Et plus leur position s’écartait de celle des hommes, moins on accordait d’importance à leur «féminité». Bien que les femmes n’aient fait que mettre au monde des enfants et se consacrer toute leur vie à leur famille, il n’a jamais été question de profond respect devant tant de «féminité originale». Elles jouissaient de peu de droits et avaient surtout besoin d’une maigre compassion pour le pauvre peuple des bonnes femmes.

Cela ne peut plus durer! Ouvrons les yeux! Le panorama des activités professionnelles «féminines» en Suisse, qui va suivre, montrera point par point combien l’on est encore terriblement loin de l’égalité des droits de la femme dans la vie professionnelle et tout ce qu’il reste encore à faire, si l’on ne veut pas replonger dans une restriction et une oppression de la vie féminine que l’on croyait complètement dépassées depuis longtemps. On découvrira par la même occasion le peu de cas que l’on fait en réalité – en dépit de tous les discours antiféministes – de la prospérité de la «nature originale de la femme», et combien il est frappant de voir que dans tous les domaines, la différence entre femme et homme donne un avantage matériel à la collectivité masculine.