OPA sur les Universités: le pompage des brevets

OPA sur les Universités: le pompage des brevets


Les menaces sur le rôle de l’université dans la société se concrétisent avec l’implication croissante des entreprises dans la vie universitaire.



Aux U.S.A, dès 1990, le MIT a mis à disposition de l´industrie ses locaux, ses activités et ses ressources contre rétribution financière. L’influence du monde de l’économie privée s’est progressivement accentuée dans différents centres universitaires (accord Rotman à l’Université de Toronto en 97, affaire Olivieri à Toronto, affaire Kern à l’université de Brown).1 Le risque que des intérêts privés décident de l’orientation des programmes de recherche dans les services publics est devenu plus actuel que jamais. En 1998, Novartis offrait 25 millions de dollars à l’université de Californie-Berkeley contre la signature d’un accord de cinq ans avec un département tout entier (biologie végétale et microbienne) contre un droit de négociation pour le dépôt de brevets, sur un tiers des découvertes effectuées dans n’importe quel laboratoire du département, y compris sur les recherches financées par l’Etat de Californie ou par le gouvernement fédéral.2 De plus, selon Ibrahim Warde, professeur à Berkeley, «l’université accordait à Novartis le contrôle de deux des cinq sièges du comité de recherche du département chargé de l’allocation des fonds de recherche».3

Les pharma orientent la formation et l’information médicale


Cet accord a été perçu comme un pillage des ressources publiques. Il faut savoir qu’en 1998, les firmes privées, en versant deux milliards de dollars, «sponsorisaient» 9% des travaux de l’ensemble des universités américaines. L’université de Washington connaît un accord semblable avec Monsanto, qui dépose elle-même les brevets. Enfin, le secrétaire d’Etat à la Science et à la Recherche en Suisse, Charles Kleiber, répondant à la question des transferts de la recherche vers l’économie, expliquait récemment : «J’en ai parlé avec le patron de la recherche de Novartis. Il m’a dit qu’il est prêt à jouer le jeu, à condition qu’on crée des centre d’excellence. Pour y parvenir, il faut orienter la recherche fondamentale sur des thèmes qui intéressent la pharma et signer des partenariats. Il faut des ressources publiques pour récompenser les universités et les stimuler. Le rôle de la Confédération, c’est ça: elle est un marieur qui doit les fiancer».4 On ne saurait mieux décrire cette orientation des universités vers les intérêts privés de l’industrie pharmaceutique.



Un nouveau problème est apparu au grand jour ces dernières années: la production scientifique financée par les laboratoires privés peut être biaisée. Ronald Collins, directeur du projet d’intégrité scientifique au sein du Center for Science and the Public Interest, dénonce cette nouvelle alliance entre les entreprises et les universités: «Les professeurs d’université rémunérés par l’industrie font profession d’experts auprès du Congrès et des organismes de réglementation sans révéler leurs liens avec le monde des affaires. Les départements scientifiques des universités publiques tissent dans le plus grand secret des liens avec les entreprises. Les revues médicales ne révèlent pas les conflits d’intérêts de leurs auteurs»5. Selon plusieurs articles récents dans des journaux médicaux de renommée internationale, des résultats sont corrigés, ou cachés dans plusieurs études.6,7,8 Ibrahim Warde cite le cas suivant: «Une enquête du Los Angeles Times a révélé que 19 des 40 articles publiés au cours des trois dernières années dans la rubrique «drug therapy» de la prestigieuse revue médicale «New England Journal of Medicine» avaient été rédigés par des médecins rémunérés par les fabricants des médicaments qu’ils étaient chargés d’évaluer. Certains ont alors souligné la quasi impossibilité de trouver des spécialistes qui n’étaient d’une manière ou d’une autre «tenus par l’industrie pharmaceutique». Une nouvelle stratégie de l’industrie pharmaceutique consiste à produire non pas des références scientifiques établies par des chercheurs indépendants dont la production scientifique est mondialement reconnue, mais plutôt à chercher des appuis auprès de personnalités du monde médical reconnus comme de bons communicateurs.



Face à l’influence des géants de l’industrie pharmaceutique, il parait difficile d’établir une protection efficace. Leur marketing est particulièrement offensif et ils soignent précieusement leur image, malgré les scandales qui défrayent la chronique, comme l’insécurité des produits thérapeutiques (affaire Lipobay de Bayer),9 la pollution des eaux par les résidus de médicaments,10 ou quand l’entreprise suisse VanTX utilise des cobayes humains estoniens ou polonais pour tester l’effet de nouveaux médicaments, au profit des plus grandes industries pharmaceutiques dont Novartis,11 ou quand l’industrie pharmaceutique, Novartis, Serono et Pfizer en particulier, recrute des cobayes dans la grande presse par des annonces défiant les comités cantonaux d’éthique.12 En Suisse, nous pouvons avoir les plus vives inquiétudes lorsque l’on sait que la nouvelle loi sur les produits thérapeutiques entrée en vigueur le 1er janvier 2001 légalise des essais cliniques sur les personnes mineures, interdites ou incapables de discernement si les risques ne sont pas importants (art. 55 et 56 LPT). Les risques ne sont pas définis. De plus, ces essais cliniques ne seront pas du domaine public mais profiteront à la firme qui les a réalisé.13



Le marketing des firmes concernées influence manifestement le comportement des médecins prescripteurs. Une importante proportion des congrès ou des rencontres de formation continue pour les médecins est financièrement soutenue par les firmes pharmaceutiques, à savboir entre 50 et 80%, selon Christophe Cina, responsable de la formation continue dans la Société suisse de médecine générale.14 Ces mêmes firmes financeront de mars à juin 2002 des stages de médecine à l’Université de Fribourg pour 130 étudiants pendant quatre demi-journées dans un cabinet médical. Cette présence constante de l’industrie pharmaceutique vise à habituer les étudiants et les praticiens à des contacts directs avec elle, comme moyen de familiarisation et pour mieux faire connaître ses produits, avec l’appui de cadeaux divers, voire des voyages tous frais payés.



(gg)

  1. OPA sur l’université, James L. Turk, Le Courrier de l ‘UNESCO, novembre 2001
  2. Novartis sème la discorde, Vicky Elliott, Le Courrier de l’UNESCO, novembre 2001
  3. L’université américaine vampirisée par les marchands, Ibrahim Warde, Le Monde Diplomatique, mars 2001.
  4. La recherche suisse est en danger, interview de Charles Kleiber, Pierre Thomas, Dimanche.ch, 24.2.2002
  5. Le Monde Diplomatique, mars 2001, idem
  6. Idem
  7. Les revues corrigées, Jeffrey Drazen, rédacteur en chef du New England Journal of Medicine, professeur de médecine à la Harvard Medical School, Le Courrier de l’UNESCO, novembre 2001
  8. Ces articles scientifiques financés par les labos…, Mickaël Day, New scientist, avril 1998
  9. Après l’ «affaire Lipobay», Le Courrier, 26.2.2002
  10. Des médicaments qui polluent, Thomas Ternes, Biofutur,216, novembre 2001
  11. La Suisse importe des cobayes humains, Béatrice Schaad, l’Hebdo, 12 mai 1999
  12. L’Hebdo, 21 juin 2001
  13. La loi sur les produits thérapeutiques dérape sérieusement, par Shirin Hatam, in Pro Mente Sana aktuell, 1/02.
  14. Pharma-médecins: les liaisons dangereuses, par Pierre Nebel, L’Hebdo, 21 mars 2002