États-Unis: par millions contre la clandestinité

États-Unis: par millions contre la clandestinité

Aux Etats-Unis, des manifestations d’immigrant-e-s illégaux et de citoyen-ne-s indignés par leur situation, d’une ampleur totalement inattendue, se sont déroulées dans plusieurs villes pendant ce mois de mars. Le 10 mars, 300000 personnes sont descendues dans les rues de Chicago, le 25 mars, ce sont plus d’un million de manifestant-e-s qui ont battu le pavé à Los Angeles. Dans cette ville, le maire, fils d’immigré-e-s mexicains, a soutenu cette manifestation. Quels sont les motifs et les enjeux d’un mouvement de protestation si massif?

Le problème de l’immigration illégale aux USA (12 millions de personnes, essentiellement d’origine mexicaine) a ainsi été rendu plus visible, alors qu’une législation anti-immigration draconienne, approuvée en décembre par le Congrès est maintenant en examen au Sénat.

Criminaliser davantage

Le projet de loi HR4437, présenté par le sénateur conservateur du Wisconsin, Georges Sensenbrenner, propose une barrière renforcée de 1000 kilomètres sur la frontière mexicaine, réputée poreuse. Surtout, cette législation prévoit d’élever l’immigration clandestine au rang de délit grave, également pour ceux et celles qui emploient des travailleurs et de travailleuses illégaux, comme pour les personnes qui, tout simplement, apportent une aide aux clandestin-e-s. Cette dernière clause a provoqué l’indignation et la promesse de recourir à la désobéissance civile, même chez le cardinal catholique du plus grand évêché des Etats-Unis, Roger Mahony. Le prélat de Los Angeles a dénoncé la récente hystérie anti-immigré-e-s. Il faut savoir que des vigiles volontaires se chargent de fermer eux-mêmes la frontière puisque «le gouvernement refuse de le faire.» Dans les faits, les immigré-e-s ne peuvent entrer aux Etats-Unis qu’en passant par un territoire extrêmement hostile, obligés souvent de parcourir plus de 100 kilomètres à pied et sans eau. Cela a entraîné une recrudescence des décès chez les personnes, femmes et enfants compris, qui ont tenté de passer par là. Plus de 300 décès par année, depuis 2003. Deux personnes, appartenant au mouvement «No more deaths», qui ont secouru trois Mexicains déshydratés, en les amenant à l’hôpital, sont en attente de jugement. Il est sûr qu’avec la nouvelle loi, cet acte serait officiellement reconnu comme un crime.

Les hésitations de Bush

Le gouvernement Bush est divisé. D’une part, des membres du parti républicain jouent la carte de l’américanisme, vision raciste par excellence; d’autre part, des patrons préfèrent poursuivre l’exploitation de la population immigrée, corvéable à merci. Cette division n’est pas si profonde qu’il y paraît, ce sont plutôt les deux facettes d’une même logique qui s’opposent. En Suisse, Blocher joue avec cela, durcissant les lois contre les étrangers et les étrangères, afin de créer des sans-papiers, qui travaillent dans des domaines où l’Etat ne veut pas mettre de moyens (économie domestique, aide aux personnes âgées, handicapées, garde des enfants). L’économie des Etats-Unis a besoin de cette force de travail invisible et indispensable. En Californie, ils et elles seraient au moins 3 millions et demi. À Los Angeles, plus de 49% de la population est d’origine latina, dont une bonne partie est formée de clandestin-e-s. Des personnes qui travaillent sans permis et sous-payées, en dehors de toute protection sociale, syndicale, sanitaire et médicale.

Bush oscille entre ces deux positions, il tient des propos très musclés à l’encontre des immigrant-e-s et propose un contrat de travail «d’invité» permettant de séjourner un temps limité sur le sol américain. Certain-e-s pensent que, de facto, cela régulariserait la situation de millions de personnes, mais cela rappelle surtout le permis de saisonnier que la Suisse a bien connu.

Les démocrates prennent les mêmes positions que leurs collègues républicains. Aucun des deux partis n’ose prendre clairement position en faveur des immigré-e-s : les élections législatives du mois de novembre approchent et l’heure n’est pas à l’audace. Les arguments en faveur d’un durcissement de la législation sont liés à la lutte contre l’insécurité et le terrorisme (volonté affichée de contrôler toute entrée aux USA et d’opérer une sélection très rigoureuse). Vu l’ampleur des manifestations de ce mois de mars, les politicien-ne-s risquent de voir le dossier de l’immigration leur exploser dans les mains.

Que cette loi soit adoptée ou non, c’est l’économie de service mondialisée qui en sortira gagnante. En effet, cette dernière est dépendante de la présence et de la disponibilité massive d’une main-d’œuvre à bas prix; un mécanisme que les partisans d’une souveraineté stricte n’ont aucun moyen de changer, à moins d’institutionnaliser un salaire horaire encore plus bas, sans aucune protection. Nivellement par le bas que ni démocrates, ni républicains n’oseront entreprendre, pour l’instant.

Comme lors de l’invasion de l’Irak, l’opposition et la gauche descendent dans la rue. Là où les droits civiques ont été effectivement conquis, là où l’opposition à la guerre du Vietnam s’est fait entendre et là où les droits des immigré-e-s seront peut-être enfin reconnus.


Marie-Eve TEJEDOR