Le PDC sauvera-t-il la mise...aux privatiseurs de Swisscom?

Le PDC sauvera-t-il la mise…aux privatiseurs de Swisscom?

Le projet de privatisation express et totale de Swisscom, porté par le duo ultralibéral Merz-Blocher, n’a pas passé la rampe au Conseil national ce mercredi 10 mai. La non-entrée en matière a recueilli une majorité de 99 votes, avec 23 voix décisives du PDC faisant pencher la balance du côté du refus.
Il faut dire qu’un sondage, publié quelques jours avant le vote, donnait 25% de soutien seulement à la privatisation totale proposée et qu’un référendum populaire – sans doute gagnant – était prêt à partir, du côté des syndicats et de la gauche.

Pendant les cinq heures de débat, deux arguments ont surtout été martelés par les partisans de la privatisation totale: d’abord la prétendue «impossibilité» pour la Confédération d’être à la fois propriétaire, «régulateur», législateur et client de Swisscom… Plaidoyer qui consiste simplement à répéter un des axiomes néolibéraux, qui se décline sans problème dans n’importe quel domaine du service public, dès lors qu’il a été jugé intéressant de le soumettre au marché et à la concurrence, parés de toutes les vertus pour les citoyen-ne-s et usagers ravalés au seul statut de clients.

Libérer le service public…

L’autre argument a été le plaidoyer en faveur de la «libération» de Swisscom du joug asservissant de la Confédération, qui permettrait à cette entreprise de s’épanouir au bénéfice de tous… mais surtout des dividendes actionnaires privés, futurs et actuels, aspect bien sûr pudiquement passé sous silence. Les radicaux et UDC qui défendaient la privatisation totale ont aussi eu le culot d’invoquer avec persistance les «risques» d’une nouvelle déroute – à la Swissair – risquant d’engloutir des milliards publics… si Swisscom n’était pas rendue «indépendante», traduisez privatisée, totalement et derechef.

En face, dans le camp du NON, un large spectre d’arguments ont été avancés, allant de la position d’«A gauche toute!», matérialisée par l’initiative parlementaire Vanek, pour une «renationalisation citoyenne» à 100% de Swisscom, qui n’a recueilli «que» 8 voix en sa faveur avec 14 abstentions, à la position charnière du PDC qui, elle, à «fait la différence» lors du vote. Et, dans cette affaire, Doris Leuthard, cheffe du PDC, a montré toutes les qualités – notamment de bonne tacticienne – qui lui mériteront sous peu une place au Conseil fédéral aux côtés de Merz, Blocher & Co.

Malgré sa position résolument libérale en matière économique, celle qui proclame sur son site Internet que «Pour la fourniture de prestations destinées à la collectivité, il y a lieu d’examiner en permanence […] si certaines ne pourraient pas être fournies plus efficacement par des privés» ou qui a fait capoter – personnellement – dans un vote à 76 contre 75 une initiative parlementaire de la verte Franziska Teuscher contre la marchandisation de l’eau potable, a voté et fait voter par son parti la non entrée en matière sur la privatisation totale de Swisscom. Alors même qu’à la session de printemps en mars, le PDC s’est battu bec et ongles pour la «libéralisation du dernier kilomètre» du réseau Swisscom, au nom des vertus de la concurrence.

Les coulisses de l’exploit

Doris Leuthard – et le parti qu’elle dirige – ont-ils été touchés par la grâce entre-temps? La réalité semble plus terre à terre. En fait, par ce vote, le PDC joue habilement sa carte bourgeoise. D’abord et surtout en évitant un vote populaire sur Swisscom à la veille des fédérales de 2007, qui aurait marqué un coup d’arrêt au processus de privatisation-libéralisation bien plus fort qu’un vote serré au National. Ensuite, en crédibilisant par son NON l’argument essentiel du gouvernement sur le «problème Swisscom» qu’il partage. Comme l’écrit la NZZ le 12 mai: «Même si les fronts du débat se sont marqués comme prévu, il subsiste une unanimité de tous les partis bourgeois pour dire que le rôle multiple actuel de la Confédération comme propriétaire, régulateur et législateur est inquiétant.»

Par ailleurs, déjà avant le vote au National, Leuthard mettait de l’eau dans le vin du PDC. La Sonntagszeitung du 7 mai déjà révélait dans une interview de Leuthard que si ce parti voterait certes la non entrée en matière sur le projet, en l’état, il était par contre prêt à l’abandon du contrôle de la majorité des actions par la Confédération, la condition essentielle à maintenir – selon la cheffe du PDC – étant «une majorité helvétique du capital-actions». Ainsi, comme l’écrit la NZZ: «On travaille déjà dans les coulisses au sauvetage de la privatisation de Swisscom» et le pivot de celui-ci sera le PDC.

Deux voies s’ouvrent maintenant, soit le projet actuel est aussi enterré aux Etats et une motion est envoyée au Conseil fédéral pour lui demander de revenir avec un projet «adouci», voie que privilégie le PDC jusqu’ici et que Leuthard a annoncé dans le débat au National, en réponse aux interventions radicalo-UDC lui demandant de concrétiser son attitude «constructive».

Un NON provisoire…

Autre possibilité, les Etats temporisent en renvoyant leur décision à la session d’automne des Chambres, avec en vue non pas un refus d’entrée en matière, mais un renvoi du projet au Conseil fédéral pour qu’il l’«améliore». Comme le dit la NZZ toujours: «Il est maintenant incertain que le Conseil des Etats décide déjà lors de la session d’été sur la privatisation de Swisscom. Et quand Leuthard sera au Conseil fédéral les chances de cette proposition pourraient remonter…» et comme l’a déjà dit le conseiller national PDC bernois Hochreutener à la Basler Zeitung, la non-entrée en matière PDC n’est pas «sacro-sainte»: «Un non n’est absolument pas un non définitif.»

A un moment où, du côté du PS, Moritz Leuenberger, depuis son échec avec la LME est (un peu) bloqué par l’aile dite «syndicale» du PSS dans son rôle de grand facilitateur des privatisations-libéralisations, le renfort de Doris Leuthard au Conseil fédéral sera sans doute bienvenu pour celles-ci

Ainsi, si Blocher et Merz ont certes subi une défaite, ils auront réussi – in fine – à «faire avancer la cause» néolibérale et à déplacer – encore une fois –le débat d’un cran à droite grâce à leur proposition «provocatrice». A lire sans doute dans le même sens, l’annonce par le Conseil fédéral – à la veille du débat sur Swisscom – de son intention de mettre le turbo en matière de libéralisation-privatisation à La Poste, avec des milliers d’emplois supprimés à la clé… Nous y reviendrons!

Pierre VANEK