L’impérialisme est-il soluble dans le multilatéralisme?

L’impérialisme est-il soluble dans le multilatéralisme?

Depuis un certain temps, des voix autorisées se multiplient aux
Etats-Unis pour mettre en cause la stratégie militaire de plus
en plus coûteuse de Bush-Rumsfeld-Cheney dans la «guerre
globale contre le terrorisme». Ainsi, un conservateur comme
Andrew J. Bacevitch, professeur en relations internationales à
l’Université de Boston, estime que «les
échecs subis par les Etats-Unis en Irak et par Israël au
Sud-Liban marquent un tournant dans l’histoire militaire
contemporaine, comparable par sa signification au développement
de la Blitzkrieg dans les années 30 ou à la bombe
atomique une décennie plus tard». Pour lui, au
Moyen-Orient, les résistances développent «une
stratégie sophistiquée qui combine l’action
politique et militaire»; elles ont montré qu’elles
pouvaient «empêcher les armées conventionnelles
d’atteindre des victoires décisives».
L’Occident [entendez: l’impérialisme] doit donc
relever ce défi en donnant beaucoup plus d’importance
à la dimension politique de ses engagements internationaux
(Boston Globe, 27 août 2006).

Dans cette optique, pourquoi ne pas partager un peu plus les
bénéfices – mais aussi les charges – de la
domination impériale avec l’Europe Occidentale, mais aussi
avec le Japon? L’enjeu fondamental de la discussion n’est
pas militaire, mais économique, et plus encore politique:
comment mieux financer et surtout légitimer la domination
globale des puissances impérialistes du Nord sur le monde? Et
c’est là que la collaboration de la très
«pacifique» Union Européenne, apparemment si
tatillonne pour exiger le «respect du droit international»,
paraît particulièrement précieuse
aujourd’hui. La vieille Europe n’avait d’ailleurs pas
agi autrement, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, quand elle
avait appelé les Etats-Unis à la rescousse pour financer
et légitimer sa sortie du bourbier colonial, tout en mettant en
place les bases d’une domination néocoloniale durable.

Cela tombe bien, puisqu’en Europe, justement, les partis
bourgeois les plus importants et la social-démocratie (pas
seulement Blair, mais d’Alema, Hollande, Schröder et
Zapatero), appuient l’intervention militaire de l’OTAN en
Afghanistan. Plus récemment, les mêmes forces ont soutenu
avec enthousiasme le leadership italo-français à la
tête de la Finul II (contingent de l’ONU au Liban), qui est
loin de représenter une force d’interposition (cf. p. 7).
Comme le déclarait récemment le Ministre italien des
affaires étrangères, Massimo d’Alema (DS –
Démocrates de gauche), au journaliste conservateur Bruno Vespa:
«Nous sommes un grand pays; nous avons fait ce qu’il
fallait pour redonner (sic!) à l’Europe (…) un
poids politique au Moyen-Orient» (Corriere della Sera, 29 oct.
2006).

En même temps, la majorité du Parti de la gauche
européenne (de Marie-Georges Buffet à Fausto Bertinotti)
ne se distancie pas franchement de telles positions: «La France
est en première ligne pour assumer au Sud Liban une
opération politico-sécuritaire internationale
délicate et décisive pour l’avenir. Elle doit le
faire avec le plus grand sens des responsabilités»,
affirmait par exemple le PCF dans un tract national diffusé au
lendemain de la guerre, le 16 août dernier.

L’impérialisme est-il soluble dans le
multilatéralisme? Voilà la question à laquelle
nous devons répondre clairement non. Ainsi, les Etats-Unis ne
viennent-ils pas d’associer l’Angleterre, la France,
l’Italie à de grandes manœuvres navales au large de
l’Iran… Mais il ne faut pas s’y tromper: la
réponse à cette interrogation divise – et divisera
de plus en plus – la gauche européenne selon une ligne de
partage nouvelle, qui traverse déjà la gauche
antilibérale et le mouvement altermondialiste. Désormais,
l’impérialisme made in Europe ne pourra plus se cacher
aussi facilement derrière l’Oncle Sam. Le défendre
comme un moindre mal – ou pire, comme une force de justice et de
paix – reviendra dès lors à singer la position
opportuniste des partis sociaux-démocrates allemand,
français ou britannique en 1914, qui justifiaient
l’entrée en guerre de leur propre pays au nom du
progrès, de la démocratie ou de la civilisation.

La gauche anticapitaliste européenne sera clairement
anti-impérialiste ou ne sera pas. Au sein de la gauche
anti-libérale, l’enjeu de la libre circulation a
déjà opposé les souverainistes aux
internationalistes. Désormais, celui des guerres
impérialistes «dans le respect du droit
international» – approuvées par le Conseil de
sécurité de l’ONU et incluant des forces
européennes sur les théâtres
d’opération les plus sensibles du Tiers-Monde –,
ajoutera à cette première fracture. C’est pourquoi,
un mouvement comme solidaritéS ne peut pas faire
l’économie d’une prise de position sans
ambiguïté pour dénoncer la protection du
marché du travail national contre les travailleurs-euses venus
d’ailleurs ou le soutien à l’Europe-Puissance comme
alternative «progressiste» à
l’impérialisme états-unien.

Jean BATOU