CCT de l’hôtellerie et restauration: une force obligatoire de faible portée

CCT de l’hôtellerie et restauration: une force obligatoire de faible portée

Dans le monde syndical
helvétique, la déclaration de force obligatoire
d’une convention collective de travail (CCT) est souvent
présentée comme la panacée. On l’a bien vu
et entendu lors du débat sur les mesures d’accompagnement
à la libre circulation des personnes. Pour parer à toutes
les dégradations actuelles et à venir des conditions de
travail, obtenir l’extension du champ d’application
d’une CCT semblait suffisant. Or il existe une importante CCT,
celle de l’hôtellerie et restauration, dont le champ
d’application est étendu au niveau national par le Conseil
fédéral depuis des décennies. Mais c’est
justement son application qui fait problème.

L’extension du champ d’application d’une convention
collective, lorsqu’elle concerne plusieurs cantons, est faite par
le Conseil fédéral, sur demande des partenaires sociaux
et moyennant le respect d’un certain nombre de conditions
préalables. Cette procédure, que l’on appelle
quelquefois déclaration de force obligatoire, fait
qu’ensuite les conditions de travail définies dans la CCT
s’appliquent à tous les salarié-e-s de la branche
et à tous les employeurs. Sur le papier, cela semble parfait.
Dans la réalité, c’est tout autre chose.

Car si le Conseil fédéral se charge
d’étendre le champ d’application, le rôle des
pouvoirs publics s’arrête là. Le contrôle de
l’application par les entreprises reste du domaine des
partenaires sociaux. Malgré la déclaration de force
obligatoire subsiste la règle d’or des systèmes
conventionnels, qui veut que plus le syndicat est faible, plus
l’application est mauvaise. L’hôtellerie-restauration
en témoigne.

Contrôles renforcés et résultats décoiffants

L’application de la CCT nationale étendue dans ce secteur
a toujours été une histoire tragi-comique. Comique en
effet de voir, pour tout le pays, six inspecteurs chercher à
vérifier une application que nombre d’entreprises ne se
donnaient même la peine de simuler. Tragique, quant aux effets
sur les conditions de travail des salarié-e-s d’un secteur
pas précisément attractif sous cet angle. Le responsable
Unia de la branche pouvait ainsi affirmer qu’il ne servait
presque à rien d’arracher des augmentations de salaire,
puisque la convention n’était pas respectée par les
employeurs (L’Evénement syndical, 6.12.2006).

Mais depuis le dernier renouvellement de la CCT, les contrôles
ont doublé et les inspecteurs de l’organisme paritaire de
contrôle sont maintenant neuf. Du coup, dans cette branche qui
compte 27 402 entreprises et 231 047 employé-e-s, deux mille
hôtels et restaurants ont été
vérifiés, de l’automne 2005 à
l’automne 2006, en ayant été auparavant
courtoisement prévenus de cette visite. Dans 54% d’entre
eux le contrôle du temps de travail ou les salaires minimaux
n’étaient pas respectés (ces deux seuls points ont
été examinés). Un établissement sur trois
ne tient pas correctement compte des heures travaillées et un
sur sept ne respecte pas les salaires minimaux. Les tricheurs sont
aussi bien le palace de luxe que le bistrot du coin. Si une sanction
peut s’ajouter au versement des sommes ainsi dues aux
salarié-e-s, elle ne semble pas être très
dissuasive, car même si elle peut s’élever
théoriquement à 20 000 francs, les 80
établissements sanctionnés ces six derniers mois ont
versé un total de près de 200 000 francs. Soit une amende
moyenne de 2500 francs par établissement. A ce prix-là,
quasiment une invitation à «oublier» le
treizième salaire de ses employé-e-s.

Le montant des sanctions n’est pas seul en cause. C’est
aussi et surtout le mécanisme de délégation des
contrôles qui, sur la durée, entretient le faible niveau
de syndicalisation dans la branche. En confiant le soin de la
vérification des conditions de travail à un organisme
extérieur, il renforce paradoxalement le sentiment
d’omnipotence du patron chez les salarié-e-s.

Défendre ses droits, le premier pas de l’organisation collective

Car la peur règne dans le secteur, comme le confirme le
sommelier vaudois Georges Blézon Derou: «si les
décomptes sont faux, beaucoup les signent quand même par
crainte de perdre leur travail» (L’Evénement
syndical, 6.12.06). Il souligne aussi que la défense de ses
droits passe par la syndicalisation. C’est-à-dire par
l’organisation collective des salarié-e-s. Certes, les
conditions de la branche (variations saisonnières,
renouvellement rapide du personnel, recours aux intérimaires et
aux extras, taille de la plupart des entreprises, etc.) rendent ce
travail particulièrement ardu. Mais seule l’accumulation
de résultats, même minimes, même partiels, obtenus
par une action collective peut faire reculer cette peur. En gagnant en
confiance, les salarié-e-s prendront aussi conscience du fait
qu’en définitive, les seuls vrais contrôleurs de
l’application d’une CCT, ce sont eux.

Daniel SÜRI


Le palmarès des «Big Brother Award» suisses

Pour la septième année consécutive, les «Big
Brother Award» suisses ont été
décernés. Cette cérémonie, qui se
déroule aussi dans seize autres pays, a pour but de
dénoncer les violations de la protection des données et
la généralisation de la vidéosurveillance.

Dans la catégorie «Lieux de travail», Media Markt
à Dietikon, qui surveillait ses employé-e-s jusque dans
les toilettes (cf. solidaritéS n° 80 ) remporte le premier
prix, suivi de Manor à Vevey. Là, le personnel est
espionné en permanence par des caméras à 360°.
Deux autres magasins, Jumbo à Meyrin (contrôle de
l’utilisation des toilettes par le personnel) et Migros au Tessin
(employés priés de délier leur médecin du
secret médical) figurent aussi parmi les entreprises
distinguées.

Dans le secteur «Business», la lauréate est
l’assurance CSS où de nombreux collaborateurs peuvent
accéder aux données sensibles des clients,
destinées au médecin-conseil, comme des diagnostics
médicaux ou le résultat de tests de
séropositivité.  (ds)