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Angles morts du confinement :
pour un plan d’urgence de santé publique !
La situation actuelle de semi-confinement pour freiner la diffusion du coronavirus a des impacts très différents sur la population selon le statut socio-économique, l’origine, le genre, l’âge, le lieu d’habitation ou encore l’accès à internet de chacun·e. Autant d’inégalités qui se révèlent plus crûment que jamais et qui vont poser des problèmes de santé publique dont il faut impérativement tenir compte pour penser la sortie de crise.
Deux poids, deux mesures
Les mesures déployées par les autorités auront notamment révélé avant tout une criante inégalité de traitement. Déploiement de moyens répressifs importants pour amender tout attroupement de plus de cinq personnes à l’extérieur (plus de 1000 amendes en Suisse romande en quelques jours), contraintes de travail dans de nombreux secteurs d’activités qui sont essentielles à la reproduction de la vie où, trop souvent, les mesures sanitaires ne pouvaient pas du tout être respectées, comme l’ont dénoncé plusieurs syndicats. À croire que seuls les rassemblements qui ne permettaient pas à des patrons d’engranger des profits étaient interdits. C’est notamment pour contester ce « deux poids, deux mesures » que nous avons contribué à lancer un appel demandant l’arrêt immédiat de toute activité non-essentielle, afin de protéger les salarié·e·s et leurs proches, et pour ralentir la propagation du virus.
Les angles morts du confinement
Au-delà de cette revendication, nous devons également préparer l’après-crise, en pensant tout particulièrement aux personnes qui ont été précarisées par la situation de semi-confinement ou qui en ont souffert psychiquement, voire physiquement. En effet, si les mesures actuelles sont indispensables pour éviter un engorgement des hôpitaux et doivent absolument être respectées, elles génèrent aussi des effets secondaires qui ont été sans doute sous-estimés.
Les femmes, en plus de la surcharge du travail domestique, sont les plus nombreuses dans les secteurs particulièrement mis sous pression par la pandémie : personnel de vente alimentaire, soins, nettoyage, etc. Elles devront bénéficier de mesures spécifiques – par exemple d’une prime de 1000/par personne au minimum- pour compenser le « surtravail » qu’elles auront effectué pendant cette période. Mais il s’agira aussi de se battre, sur le plan politique et syndical pour que tout ce travail essentiel à la reproduction de la vie ne reste plus le parent pauvre quand il est question de salaire et de conditions de travail. A cette pression vécue sur le plan professionnel s’ajoute encore, pour les femmes et familles qui ont des enfants, l’obligation de l’école à la maison, mais aussi les courses et soins à apporter aux grands-parents confinés qui, eux, ne peuvent plus s’occuper de leurs petits-enfants. Ce travail domestique indispensable, essentiel à la reproduction de la vie, devra lui aussi être mieux pris en compte, notamment au niveau des retraites.
Les plus précaires en première ligne
Bien sûr, les inégalités sociales jouent à plein durant cette période et rendent ce semi-confinement particulièrement difficile à vivre pour les classes populaires, contraintes de passer l’essentiel de leur temps à plusieurs dans des appartements de petite taille, sans parler de toutes les personnes en situation de grande précarité (sans-abris, etc.). Ces situations précaires et à haut risque doivent absolument être prises en compte dans les plans publics pour « l’après » car on ne sortira pas tous égaux de cette période selon qu’on l’ait passée dans le jardin de sa villa ou entassés à 5 dans un 2 pièces.
La souffrance des aîné·e·s
La population qui souffre particulièrement du confinement est paradoxalement celle, plus vulnérable d’un point de vue de la santé, que le confinement vise à protéger : les aîné·e·s. Qu’il s’agisse de l’abandon de toute activité physique à l’extérieur, du manque de lien social et familial, ou encore du découragement à aller consulter son médecin, l’injonction à « rester chez soi » n’est pas sans conséquences. Si la solidarité entre voisins peut contribuer à pallier au problème et est à saluer, comme la mise en place d’une appplication d’entr’aide par le collectif neuchâtelois de la grève féministe, toutes celles et ceux qui travaillent avec les âgé·e·s fragiles, les personnes en situation de handicap, les vulnérables savent qu’un confinement trop long sans mesures d’accompagnement sérieuses qui prennent en compte ces besoins spécifiques aura un impact fort sur la santé physique et mentale de ces populations. Nous sommes donc face un véritable paradoxe de santé publique qu’il faut prendre très au sérieux pour éviter que l’après-confinement ne soit marqué par une vague massive de dégâts collatéraux en gériatrie et en psychiatrie.
À cet aspect s’ajoute la question de l’augmentation des violences physiques et psychologiques domestiques (femmes et enfants) mais aussi du regain de symptômes chez des personnes psychologiquement fragiles. Les jeunes en « rupture » ou LGBTIQ+ qui subissent des situations de grande tension familiale vivent aussi des jours difficiles. Sans parler des élèves pour lesquels les inégalités scolaires se creusent encore à cause de la fracture numérique et des conditions très variables de travail à domicile selon les possibilités d’encadrement (taille de l’appartement en rapport au nombre d’occupants, télétravail du/des parents, langue parlée par les parents, etc.).
Pour un véritable plan de santé publique collatéral de sortie de confinement
Il est évident que cette période de semi-confinement va laisser des traces au sein de la population. Un véritable plan supplémentaire de santé publique doit donc être mis en place pour anticiper et accompagner la sortie du semi-confinement et viser en particulier les catégories de population les plus affectées: aîné·e·s, classes populaires, femmes, proches-aidants, etc.
Ce plan d’urgence de santé publique doit assurer une prise en charge gratuite des besoins spécifiques pour toute la population :
- Un renforcement massif de l’aide et des soins à domicile avec une attention toute particulière sur la remobilisation physique et la reconstitution du lien social (intervention notamment de physiothérapeutes et ergothérapeutes, tant à domicile que pour des sorties accompagnées avec de personnes atteintes dans leur mobilité à la suite du confinement).
- Un accompagnement à domicile par les sages-femmes des mères récemment accouchées, pour éviter un pic de dépression post-partum
- Une prise en charge sans délai des personnes avec des fragilités psychiatriques et un centre d’appel pour toutes les personnes, plus particulièrement les femmes, atteintes psychologiquement par cette crise
- La création d’un dispositif de soutien scolaire renforcé pour les enfants et adolescent-e-s afin d’éviter toute aggravation du phénomène de « décrochage scolaire » et ne laisser personne sur le bord du chemin.
Dans l’attente de la sortie du demi-confinement, les autorités doivent mettre en place :
- Le dépistage systématique pour toute la population et l’isolement dans des lieux spécifiques et médicalisés des personnes infectées et asymptomatiques.
- Le déblocage des réserves de masques de protection et la publication sur l’état des réserves.
- L’accès à internet de qualité sur tout le territoire devrait devenir un service public et géré comme tel, au même titre que l’eau potable et l’électricité.
- Un plan spécifique d’intervention à l’endroit des personnes nécessitant des soins en multipliant les prises de contact individuelles, voire en se rendant à leur domicile ou en les accompagnant chez leur médecin (ou en les incitant à le faire), dans le respect des normes sanitaires
- Une diffusion large par l’affichage public dans la rue (et la diffusion de messages sur les radios et télévision de service public) des numéros d’aide pour les victimes de violences domestiques et les jeunes en « rupture » familiale
- Une prise en charge et renforcement du dispositif de protection et d’orientation pour les femmes et filles victimes de violences domestiques, sexistes et sexuelles
- Un plan d’urgence contre la fracture numérique en mettant à disposition gratuitement des ordinateurs, tablettes, smartphones et imprimantes pour toute personne en faisant la demande, avec assistance technique.
- Un plan d’action pour sortir de la crise, avant la relance des activités économiques, en mettant comme première priorité le renforcement financier et institutionnel de tous les services publics dans la santé et le social au niveau cantonal et communal.
Neuchâtel, le 17 avril 2020
Pour contact : ne@solidarites.ch