Écoféminisme ou barbarie

Le mot d’ordre « socialisme ou barbarie », lancé par Rosa Luxemburg, est plus que jamais d’actualité. Pour éviter la destruction de la planète et que la crise écologique aggrave encore la crise sociale, une seule solution se présente : un écoféminisme anticapitaliste.

Mural de Sintex en hommage à la lutte indigène contre le Dakota Access Pipeline (DAPL), Detroit

De nombreuses analyses montrent que les coupables de la crise écologique sont en premier lieu les multinationales, les banques et autres institutions financières, ainsi que les élites économiques. Le secteur financier suisse est responsable de 22 fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que l’ensemble de la population et l’industrie suisse (« Masterplan Climat » de l’Alliance Climatique), tandis que les 10 % de personnes les plus riches au monde sont responsables de 50 % des émissions mondiales liées à la consommation individuelle. Nous connaissons aussi les principales victimes de la crise écologique : les populations précaires dans le Sud global, dont les terres, forêts et eaux sont pillées par des multinationales occidentales, et qui n’ont pas les ressources financières pour répondre aux catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes (Rapport Spécial Nº 15 du GIEC).

Pas d’avenir féministe sans justice climatique

90 % des milliardaires sont des hommes (Statista). Ces derniers sont également largement majoritaires dans les directions et parmi les actionnaires des grandes entreprises. Par contre, les couches sociales précaires sont majoritairement féminines. Ce sont donc principalement des hommes blancs bénéficiant des activités économiques qui détruisent la planète. Les premières à en payer le prix sont les femmes dans les zones rurales du Sud global. Si la destruction de la planète reproduit et renforce les inégalités entre le Sud et le Nord, elle consolide également les inégalités entre les genres. En effet, en raison de la division sexuelle du travail, les femmes dans les zones rurales sont souvent responsables de tâches liées à l’accès à l’eau ou au travail des terres.

Les femmes sont également davantage touchées par certaines politiques dites écologiques, telles que les taxes sur l’essence. Plusieurs études ont montré que ce sont surtout des mères qui dépendent de la voiture, parce que ce sont elles qui assurent le gros des tâches familiales telles que les courses et le transport des enfants. Ce sont également elles qui doivent majoritairement coordonner ces déplacements avec leurs trajets pendulaires. En rendant plus coûteux l’usage de la voiture sans prendre en compte ces inégalités, des taxes sur l’essence dégradent davantage le quotidien des femmes que celui des hommes, alors qu’elles sont déjà pénalisées économiquement par les inégalités salariales. Un engagement pour une politique écologique féministe, internationaliste et sociale, tenant compte des inégalités existantes, doit donc être un pilier essentiel du féminisme.

Pas d’avenir écologiste sans révolution féministe

La destruction des écosystèmes et le manque de valorisation des tâches majoritairement effectuées par des femmes s’expliquent par la même cause : dans le capitalisme, seul le travail productif est valorisé et rémunéré. Le travail reproductif, qui sert à maintenir la base de vie de la société et comprend des tâches comme les soins, les repas, l’éducation, la création de lien social, n’est pas ou peu rémunéré. De même, la capacité reproductrice des écosystèmes n’est pas valorisée. Par conséquent, des ressources qui pourtant se renouvellent, comme les forêts, l’eau souterraine, les poissons, etc., sont surexploitées jusqu’à leur épuisement. Pour répondre à ce problème, le capitalisme ne connaît qu’une solution : créer des marchés pour que ces ressources soient valorisées et intégrées dans les calculs de coûts. Les eaux, terres, forêts, zones de pêche sont donc privatisées. Leurs rendements sont vendus pour générer du profit et les rendre inaccessibles à celles et ceux qui ne peuvent pas se les payer.

Pour sortir de cette logique meurtrière, il faut que la quête du profit cesse d’être le principe organisateur de la société. Il faut réduire le travail productif (celui qui génère des marchandises à vendre) en faveur d’une revalorisation du travail reproductif (le soin aux proches, les tâches domestiques, l’éducation…), une revendication que les féministes portent depuis longtemps. Le travail doit servir à satisfaire nos besoins réels et à garantir notre bien-être, pas à remplir les poches des capitalistes ! Si nous surmontons la séparation entre marchandisation et reproduction, nous aurons les clés en main pour faire usage des écosystèmes de manière à maintenir leur capacité reproductrice et donc préserver la base essentielle de nos vies.


Franziska Meinherz