Une Europe absente face à la crise
Miguel Urbán Crespo milite au sein de Anticapitalistas et siège depuis 2015 au Parlement européen comme député de Podemos. Notre rédaction l’a interrogé sur la crise du coronavirus et ses conséquences aussi bien en Europe que dans son pays.
Comment juges-tu la position de l’Union européenne (UE) face à la crise du coronavirus ?
Il est vrai que, dans cette crise, l’image donnée par l’UE oscille entre la paralysie et l’air d’être totalement dépassée. L’UE ressemble en ce moment davantage à un État en faillite qu’au proto-État fédéral dont beaucoup rêvent dans la bulle de Bruxelles. Il en résulte une nouvelle accumulation de frustrations et d’énervements envers une UE incapable de donner une réponse rapide, crédible et coordonnée à des défis centraux. Les institutions européennes continuent de surprendre par leur capacité à fabriquer elles-mêmes les campagnes d’euroscepticisme.
Comme chaque pays agit séparément face à cette crise, y a-t-il un risque d’implosion de l’UE ?
L’UE souffre d’une perte croissante de légitimité dans les secteurs sociaux de toute l’Europe, le phénomène n’est pas nouveau. Il est toujours plus difficile à l’UE d’être associée à ses supposées « valeurs européennes » : la démocratie, le progrès, le bien-être ou les droits humains. Elle subit une véritable camisole de force néo-libérale, avec une combinaison d’austérité, de libéralisme économique, de dette prédatrice et de travail précaire.
Malgré cela, je ne crois pas à un risque sérieux d’implosion à court terme de l’UE ; mais nous pouvons par contre voir s’accélérer la montée d’autoritarismes exacerbés par les confinements dus au coronavirus.
Cette crise a fait voler en éclats les dogmes régissant jusqu’ici l’UE. Est-ce la fin du règne de l’austérité ?
Aujourd’hui, le tabou de l’équilibre budgétaire a volé temporairement en éclats – comme nous le demandions depuis longtemps – pour affronter une crise, qui n’a pas une origine financière, mais épidémiologique, et qui aura également des conséquences économiques et sociales pour toute l’Europe. Comment ces dépenses exceptionnelles seront-elles payées ? Qui les assumera ? Dans quelles conditions se rembourseront les dettes contractées aujourd’hui pour contenir la pandémie du COVID-19 ? Voilà réellement le débat de fond.
Il semble émerger une supposée confrontation entre deux options prétendument opposées: mutualiser entre tous les États membres les coûts de la crise, ou laisser chacun se débrouiller avec ses propres ressources ou avec les prêts obtenus (généralement via des organismes financiers internationaux et des banques qui en salivent déjà). Chaque pays voulant accéder au financement d’urgence de l’UE devrait alors signer un mémorandum d’entente contrôlé par la Troïka (Commission européenne, Fonds monétaire international et Banque centrale européenne).
Aujourd’hui, au sein des principaux États et des partis gouvernant l’Europe dans le cadre de « grandes coalitions », l’austérité et les politiques néolibérales ne semblent pas être remises en question. Même dans le cas d’une mutualisation, les États membres les plus touchés obtenant des prêts « sans conditionalité », devront dans un futur proche rendre cet argent. Ils devront alors demander de nouveaux prêts pour payer les dettes déjà contractées (un processus sans fin) et alors arriveront en contrepartie les plans d’ajustement structurel. Ainsi, la gestion néolibérale du Covid-19 risque de produire une crise de la dette et les réformes austéritaires qui en dériveront, comme celles de 2008, mais en différé.
Par rapport à l’État espagnol, quels sont les dangers pour l’après-coronavirus ?
Il est difficile de répondre à cette question parce que les dangers sont nombreux et l’incertitude grande. Le rôle de la gauche et des mouvements populaires est crucial pour éviter de tomber dans l’hystérie et la paranoïa, qui justifieraient des mesures exceptionnelles – dont nous savons quand elles s’appliquent, mais pas quand elles prendront fin.
Dans le cadre économique et social, nous allons sûrement vers une crise profonde. Mais la dureté du choc économique et surtout la distribution de la facture qu’elle provoquera résulteront de décisions politiques. Nous ne pouvons pas uniquement demander d’injecter de l’argent dans des politiques sociales atténuant les conséquences sociales de la crise : fondamentalement, il faut demander comment se paiera la facture. Se pose alors la question centrale de la répartition des richesses. Si nous n’abordons pas ce débat avec des mesures concrètes, ce sera comme en 2008 : les classes populaires paieront et supporteront à nouveau la crise par la socialisation des pertes des grands capitaux.
Propos recueillis par Juan Tortosa.
Traduction du castillan : Hans-Peter Renk