Occupations historiques des Universités en Suisse romande
Du 2 au 15 mai derniers, plusieurs centaines d’étudiant·exs et de membres de la communauté universitaire ont occupé l’Université de Lausanne en solidarité avec la Palestine. Si l’occupation a désormais pris fin, suite aux pressions exercées notamment par le Conseil d’État, cette mobilisation demeure historique. Elle a participé à lancer un mouvement qui a depuis essaimé sur de nombreux autres campus. Entretien avec des camarades membres du collectif et retour sur les occupations à Genève et Neuchâtel.
Quelles sont les revendications du mouvement ?
Elles sont au nombre de quatre et répondent à l’appel lancé par Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) en 2004. Nous exigeons en premier lieu une condamnation ferme de la part de l’Université de Lausanne des meurtres d’académiques et d’étudiant·exs en Palestine occupée et de la destruction des universités à Gaza.
La deuxième revendication porte sur l’accueil des chercheur·sexs palestinien·nexs et la troisième sur la publicisation des accords et projets en cours avec les institutions académiques israéliennes. Enfin, la plus importante est l’interruption immédiate de ces collaborations, quelle que soit leur nature.
Comment s’est organisé le campement ?
Déjà, je pense qu’il est important de souligner le fait qu’en suivant l’exemple de nos camarades étasunien·nes, nous nous inscrivons dans l’histoire des mobilisations contre la guerre et l’apartheid. Toutes ces luttes – contre la guerre du Vietnam ou contre l’apartheid en Afrique du Sud par exemple – sont désormais encensées. Il en sera de même pour notre combat pour la libération du peuple palestinien !
Concernant le camp, c’était impressionnant et assez inédit dans notre expérience militante. Le campement était auto-organisé et deux assemblées générales avaient lieu chaque jour, l’une le matin – qui portait sur la transmission des informations – et une autre le soir. Celle-ci était en général plus longue et permettait de débattre et de prendre des décisions politiques. Le camp fonctionnait en outre par groupes de travail dans lesquels les diverses tâches étaient déléguées ; par exemple un GT logistique, un GT média qui a fait un super travail de relation avec la presse écrite et visuelle, un GT politique et stratégie, ou encore un GT élargissement qui cherchait à tisser des liens avec les enseignant·exs, les partis politiques ou les syndicats.
Ce qui était intéressant, c’est la diversité du camp et des personnes qui y participent, à la fois en termes d’appartenance sociale, raciale ou religieuse mais aussi d’expérience militante. Le fait d’avoir des personnes qui viennent de traditions militantes différentes peut parfois être un défi, mais dans notre situation, c’était bien géré, avec un travail en commun qui fonctionnait et un mouvement uni.
En dehors des étudiant·exs qui ont fait vivre ce mouvement, quelle était la place des professeur·exs et du corps intermédiaire de l’Université dans cette mobilisation ?
Il faut en effet préciser que le collectif n’est pas uniquement constitué d’étudiant·exs ; c’est important pour nous de faire passer le message que l’université doit être ouverte à la cité et au monde extérieur. Pour ce qui est des professeur·exs, ils et elles ne sont pas à l’origine de l’impulsion de la mobilisation mais un certain nombre d’entre eux et elles nous ont rapidement rejoint. Une lettre de soutien a été écrite et des contacts étroits se sont tissés. Certain·exs participaient aux assemblées générales en tant que membres à part entière. Nous avons profité de leur connaissances internes au système universitaire et discutons d’égal à égal.
Peux-tu revenir sur la manière dont les universités israéliennes participent à l’apartheid, la colonisation et au génocide ?
On a beaucoup entendu que les universités israéliennes seraient le lieu de la critique dans ce pays. En plus, la Direction de l’Unil s’opposait au boycott académique et ne remplissait pas son engagement de «transparence» pris dès le premier soir. Nous avons donc mené nos propres recherches et produit un rapport de 32 pages qui montre l’ampleur de l’implication de ces institutions avec l’État et l’armée israélienne. Les deux universités avec lesquelles l’Unil collaborent l’illustrent bien: l’une est située et s’étend en territoire palestinien occupé, forme des officiēr·es du renseignement et des ingénieur·es militaires et soutien la guerre à Gaza ; l’autre forme et collabore avec les forces de police, le système judiciaire et carcéral. La direction ne l’a pas lu et nous avons donc choisi de le publier pour montrer au public que c’est bien une question qui concerne les universités suisses, y compris celle de Lausanne.
Depuis le début du mouvement à Lausanne, des occupations ont été lancées dans plusieurs autres université ou hautes écoles. Quels liens entreteniez-vous avec ces luttes ?
Tous les collectifs et occupations fonctionnaient de manière indépendante et autonome. L’action à Lausanne a cependant montré que c’était possible. Le fait que nous puissions rester à l’Université, que nous puissions obtenir des victoires concrètes, et que ce combat se passe de façon ouverte et démocratique semble avoir lancé une impulsion.
Nous sommes en outre en train d’organiser une coordination nationale, afin de mettre en commun le travail militant réalisé et d’échanger sur nos expériences pratiques d’organisation interne, de construction politique ou encore de négociation avec les directions. L’enjeu est d’apprendre des expériences des autres et de se donner les moyens d’intervenir également au niveau national, en dehors de nos universités et hautes écoles respectives.
C’est aussi intéressant de constater la réponse très différente selon les rectorats: celui de l’Université de Lausanne a tout de même été ouvert à la discussion et ne nous a pas envoyé la police directement, ce qui n’est pas le cas de l’EPFL ou de l’EPFZ. Cela démontre une tension plus grande dans ces derniers lieux, où il y a sans doute plus d’enjeux et d’accords financiers avec les universités israéliennes.
Après une semaine d’occupation jour et nuit, le mouvement a pris la décision d’accepter l’injonction de la direction de l’Université d’être sur les lieux uniquement de 7h à 22h. Qu’est-ce qui vous a motivé à accepter cette configuration?
Cette décision a donné lieu à de nombreuses discussions au sein du camp, sur la manière de mener notre lutte et sur les objectifs que nous nous fixons. Il faut dire que nous étions assez fatigué·exs… Une occupation avec une présence 24 h/24 et la menace d’une évacuation qui plane demande beaucoup d’énergie. Il nous semble cependant qu’il s’agit d’une véritable victoire qui peut donner du courage à d’autres universités. Ainsi, le rectorat est entré en matière sur nos revendications en lien avec le boycott et le gel des relations selon des modalités qui restent à préciser et à discuter.
Cette modification des conditions nous a permis de rester dans le bâtiment selon nos modalités, aux heures importantes, c’est-à-dire celles durant lesquelles toute la communauté universitaire est sur place. Nous avons pu conserver une présence visuelle forte par nos drapeaux, nos banderoles, la tenue de nos assemblées dans le hall principal ainsi qu’un lieu d’accueil. De cette manière, nous avons continué d’avoir un échange avec la communauté universitaire. Le fait de garder une présence nous a aussi permis d’ancrer le mouvement sans être dans l’urgence, de l’inscrire sur un temps plus long et de débattre de sujets de fond.
Quelles perspectives voyez-vous pour la suite du mouvement?
Dans l’immédiat, nous continuons les négociations avec la direction pour défendre le boycott académique, ou au moins le gel des collaborations jusqu’à ce que la commission que la Direction souhaite mettre en place ait évalué les collaborations selon des critères de droit international, d’éthique, de liberté académique et d’utilisation des recherches. Une chose est sûre, sans notre mobilisation, l’Unil serait restée silencieuse.
Nous sommes fier·exs des victoires que nous avons obtenues, même maigres, comme la dénonciation des destructions des universités et du massacre des universitaires palestinien·nexs. Sur le moyen-long terme, nous allons continuer notre mobilisation: tracter et afficher sur le campus, organiser des conférences, soutenir les mobilisations dans les autres universités, porter nos idées auprès de tous les corps intermédiaires de l’Unil, auprès des étudiant·exs, chez les chercheur·sexs, etc. bref: construire le mouvement.
Propos recueillis par Marie Jolliet
Sept jours d’occupation et 49 arrestations
Le mardi 7 mai à midi, dans la lignée des occupations lancées à Lausanne, des étudiant·exs de l’Unige s’installaient au centre d’Uni Mail pour faire entendre leurs revendications.
La coordination étudiante pour la Palestine de l’Université de Genève (CEP Unige), reprenant les revendications des autres occupations, s’est ainsi lancée dans une mobilisation qui a fait date. L’occupation même des bâtiments a duré sept jours et la mobilisation continue actuellement sous d’autres formes.
Cette occupation a été un moment d’organisation politique par le bas exemplaire. Les étudiant·exs ont servi trois repas par jours et se sont assuré·exs de l’application d’une charte anti-discrimination. Iels ont organisé quotidiennement des moments de discussions et de décisions collectives et ont assuré leur propre sécurité, malgré des agressions sionistes répétées durant la semaine.
Iels sont parvenu·exs à imposer leur propre agenda au rectorat de l’Unige. Malgré les menaces d’évacuation qui planaient dès le samedi 12 mai, la CEP Unige avait choisi de maintenir sa présence dans Unimail jusqu’à l’arrivée de la police puis de partir pacifiquement à la première sommation. Malheureusement, la rectrice, Audrey Leuba, avait un autre plan.
Mardi 14 mai à cinq heures du matin, les étudiant·exs se sont réveillé·exs entouré·exs de policier·es en civil. Iels ont été menotté·exs, malgré l’absence de résistance de leur part. Quarante-neuf arrestations plus tard, la rectrice a annoncé abandonner sa plainte. Une décision qui souligne le caractère purement intimidant de la démarche et l’hypocrisie crasse des déclarations du rectorat sur sa volonté d’établir un dialogue avec la CEP.
Les découvertes de la CEP concernant les liens de l’époux de la rectrice avec l’industrie militaire israélienne, ainsi que ses relations privilégiées avec trois individus ayant agressé les étudiant·exs durant une nuit d’occupation viennent encore assombrir le tableau.
Malheureusement pour Audrey Leuba et le reste du rectorat, la CEP ne cédera pas face aux intimidations et continuera sa lutte tant que ses revendications ne seront pas appliquées. Palestine vivra, Palestine vaincra !
Clément Bindschaedler
Mobilisation étudiante
à l’Unine
Le 15 mai, l’Aula des Jeunes Rives de l’Université de Neuchâtel a été le théâtre d’une mobilisation étudiante, à l’instar d’autres universités helvétiques.
Refusant de se taire face à l’apartheid et à l’occupation sioniste en Palestine, les étudiant·es ont choisi cette date symbolique, commémorant 76 ans de Nakba, pour lancer un mouvement de protestation retentissant, rappelant que la «catastrophe» n’est pas seulement une page d’histoire, mais une tragédie qui continue de se dérouler aujourd’hui sous nos yeux.
Les revendications sont claires: elles ciblent directement les liens entre leur université et les institutions académiques israéliennes, ainsi que le positionnement de l’Unine face au génocide de Gaza. Le message est sans équivoque: aucune collaboration ne doit perdurer avec des entités qui soutiennent ou facilitent un génocide, et l’Université a une responsabilité éthique de promouvoir la justice et le droit international, tant en son sein qu’avec ses partenaires.
Cette action visait à secouer les consciences et à forcer les institutions à reconnaître leur part de responsabilité dans la perpétuation de la souffrance palestinienne. Le Collectif Étudiant pour la Palestine de l’UniNE appelle à une prise de conscience globale et à un engagement concret pour le respect des droits humains et la justice.
Le 17 mai, après des premières négociations avec le rectorat, le Collectif a obtenu l’autorisation de continuer la mobilisation au sein de la Faculté de sciences, pendant les heures d’ouvertures.
Mercredi 22 mai, le Collectif et le rectorat ont finalisé la signature de cinq engagements, dont le positionnement public de l’Université en faveur des victimes et contre la destruction des universités, ainsi que la mise en place d’une commission d’expert·es pour évaluer les partenariats avec d’autres institutions.
La mobilisation a porté ses fruits et continuera sous d’autres formes !
Saoussen Hammami