Italie: savoir dire non à la guerre

Italie: savoir dire non à la guerre

Nous reproduisons ci-contre deux prises de position: celle de Gigi
Malabarba (ex-Sénateur de l’Association «Gauche
Critique»), qui revient sur le contexte général de
la crise politique actuelle en Italie, et celle de Franco Turigliatto
(sénateur démissionnaire), qui précise les
circonstances et le sens de son vote contre la politique
extérieure au Sénat. Rappelons que Franco Turigliatto
était l’invité du Forum Socialiste de
solidaritéS, les 3-4 février derniers, au Locle
(Neuchâtel), et que nos lecteurs-trices peuvent écouter
son rapport introductif en français sur notre site: www.solidarites.ch.
Nous avons traduit ces deux prises de position de l’italien
à partir d’interviews vidéos, datés du 26
février, et présentées sur le site sinistracritica.org.  

Jean Batou

Défendre les revendications du mouvement de masse

La situation difficile au Sénat de la République est
issue du résultat même des élections. Le centre
gauche n’a pas remporté les élections au
Sénat; il n’a pas une majorité suffisante et donc
chaque vote peut incliner dans un sens ou dans l’autre suite
à diverses incursions et opérations politiques.
C’est dans ce cadre que nous sommes arrivés au vote de
mercredi [21 févier, ndt.] sur la motion concernant la politique
étrangère. En réalité, derrière ce
vote, on retrouvait substantiellement la volonté
d’encadrer et de diriger toujours plus fortement la politique de
l’Exécutif vers des options particulièrement
conventionnelles. En même temps, cependant, une grande
manifestation populaire avait eu lieu le samedi
précédent, qui mettait en discussion deux questions de
fond: l’une concernait l’usage du sol – ou
plutôt la dévastation du sol –, l’autre
touchait à l’aménagement du territoire, en vue du
développement d’une base conçue comme un
élément fondamental du dispositif militaire
d’intervention de l’OTAN et des Etats-Unis au Moyen Orient
et en Asie. C’est dans ce cadre que s’est fait jour une
pression particulièrement forte pour donner au rapport du
Ministre des affaires étrangères et à sa motion la
valeur d’un véritable vote de confiance.

En réalité, il s’agissait d‘une motion un peu
empoisonnée, au sens où elle confirmait une orientation
qui était apparue, dans le rapport présenté par
d’Alema, essentiellement en continuité avec la politique
atlantiste et philo-US de toujours, même si quelques
éléments de différenciation par rapport à
la politique poursuivie par le gouvernement Berlusconi subsistaient.
C’est pour cela, disons-le ainsi, que dès le début,
je me suis orienté vers une position critique: le refus de
donner un aval à un choix qui constitue en réalité
une politique de guerre. Et j’ai résisté à
d’infinies pressions, avant tout au chantage exprimé
ainsi: «si tu fais ça, tu mets en danger le gouvernement
même».

Toutefois, et justement pour répondre à cette pression,
à ce chantage et à ces observations, au cours du
débat, j’ai encore déclaré ma
disponibilité à voter le rapport, à condition que
soit introduite au moins une réaction positive à
l’égard de Vicenza. Il ne s’agissait donc pas
d’une demande de Franco Turigliatto ou d’un autre
sénateur, mais d’une exigence de respect à
l’égard de Vicenza et sa population: il fallait en somme
que le gouvernement montre qu’il était prêt à
une pause de réflexion, à une suspension de la
décision, afin de pouvoir discuter démocratiquement avec
les habitant-e-s de Vicenza. Même cela a été
refusé, et c’est la raison pour laquelle j’ai
considéré qu’il était nécessaire de
donner, d’une manière ou d’une autre, un signal
politique. Un signal qui montre que quelqu’un avait la
volonté d’être cohérent avec ses propres
idées, sa propre position politique, dans le cas précis,
une position politique qui reprenait le programme historique de mon
Parti. En même temps, cette position donnait un petit signal pour
la défense des idées et des revendications du mouvement
de masse pour la paix et la protection de l’environnement.

J’ai donc pris cette décision de ne pas participer au
vote. En même temps, j’ai annoncé ma
démission du Sénat, démission que j’ai
formalisée peu après, justement parce que je voulais de
cette manière marquer les rapports qui me lient à mon
parti. J’ai été élu sur les listes de
Rifondazione comunista, et j’ai remis, de cette manière,
mon mandat dans les mains de l’organisation politique qui avait
appelé et contribué à mon élection. Je
crois que c’est la manière d’agir la plus correcte
et la plus loyale envers la formation politique dans laquelle on a
milité, y compris en termes de cohérence par rapport aux
idées et aux objectifs défendus. Pour cela, je ne peux
qu’être attristé, disons-le ainsi, que le Parti ait
réagi à mon acte de responsabilité, tant politique
qu’organisationnel, en montant une campagne assez pénible
contre mes choix; en arrivant même à proposer mon
éloignement, c’est-à-dire mon expulsion du Parti
même. Je dois dire, néanmoins, qu’en même
temps, l’heureuse surprise est venue du développement
d’une solidarité très ample, pour moi tout à
fait inattendue, qui a impliqué et qui implique des milliers de
personnes, que ce soit dans l’accord substantiel avec les choix
que j’ai faits ou dans la solidarité politique et le
respect de ces choix pour leur valeur et leur cohérence.

Franco Turigliatto*

*Sénateur démissionnaire du PRC, membre de
l’Association «Gauche Critique», 25 février 2007.


Le cadre dans lequel nous devons agir

Au sein du PRC, la sensibilité de l’Unione [alliance de
centre-gauche] par rapport aux conflits et aux mouvements sociaux avait
été présentée comme
l’élément principal de rupture de cette coalition
avec le gouvernement Berlusconi. En fait, cela s’est
avéré totalement faux. Nous n’avons obtenu
absolument aucun résultat. Au cours des premiers mois du
gouvernement Prodi, il n’y a pas eu de mobilisation forte, parce
que les groupes dirigeants de différents mouvements avaient en
quelque sorte délégué l’initiative au
gouvernement Prodi, ou qu’ils en attendaient quelque chose.
Cependant, dès que des mobilisations ont vu à nouveau le
jour – à commencer, par exemple, par la grande lutte
contre la base militaire américaine de Vicenza, le gouvernement,
non seulement, n’a pas été perméable aux
demandes du mouvement social, mais pire encore, il a fait preuve
d’hostilité pure. Et ceci, même après la
mobilisation de dizaines de milliers de personnes – la plus
importante mobilisation du mouvement pacifiste depuis très
longtemps – qui a réussi à se reconstruire sur un
objectif très concret et à partir à la
conquête d’un objectif important.

Cet élément est d’autant plus sensationnel que,
d’une part, juste après la manifestation de Vicenza, Prodi
a adopté clairement une position négative, opposée
au mouvement social, du type «heureusement qu’il n’y
a pas eu de débordements»; et que d’autre part, on a
assisté à une succession de choses absolument folles.
Nous savons que quelques milliers de personnes provenant directement du
Val di Susa – cet autre combat impliquant le puissant collectif
du «No TAV» [NON au train à grande vitesse reliant
Turin à Lyon] – ont participé à cette
manifestation. Or, vingt-quatre heures après que Prodi ait
déclaré que la base de Vicenza serait maintenue, le
Ministre des finances Paolo Schioppa a annoncé la mise en
chantier de la ligne Turin-Lyon en septembre, s’opposant ainsi
frontalement au second mouvement social de l’an passé.

Mais je crois qu’il faut mentionner encore quelque chose de plus:
les déclarations du Ministre de l’intérieur,
Giuliano Amato. La découverte de partisans du terrorisme au sein
des usines et des syndicats, etc., a été exploitée
directement, de manière préventive, contre les
mobilisations ouvrières. La CGIL modérée de
Guglielmo Epifani, de même que les luttes de la FIOM sont
d’ores et déjà mises en accusation. Ainsi, le
mécontentement du monde du travail – qui a crû
notablement avec le vote du nouveau budget [la Finanziaria], frappant
plus durement encore les couches les plus faibles de la
société –, et aujourd’hui surtout les luttes
du monde ouvrier face à la menace d’une nouvelle et lourde
contre-réforme du système de prévoyance sociale,
sont préventivement criminalisées par le ministre Amato.
Et même le Président de la République Giorgio
Napolitano [membre historique du PCI, ndt.] nous déclare que les
luttes, les manifestations et les mobilisations peuvent constituer les
preuves d’une culture terroriste. Et donc, sur toutes les
questions essentielles, le cadre politique et institutionnel construit
par le centre-gauche s’oppose frontalement aux mobilisations
contre la politique libérale et contre la guerre.

Ceci est d’autant plus dangereux qu’il dégage ainsi
un front important pour la droite. On avait déjà
assisté à une forte mobilisation de la Casa delle
Libertà [coalition de droite] à Rome; mais
aujourd’hui, c’est le champ à des critiques
antisystèmes et à des mobilisations d’une
extrême droite revigorée qui s’ouvre, ce qui est
particulièrement dangereux, d’autant plus qu’il faut
penser aux connivences qui existent entre ces mouvements et les forces
de l’ordre.

Voilà le cadre dans lequel nous devons agir. Evidemment,
à côté de ces dynamiques politiques centristes, ce
gouvernement n’a empoigné aucune des questions pour
lesquelles il avait été fondamentalement élu:
qu’il suffise de rappeler la modification, si ce n’est
l’abrogation des loi Trenta [sur le travai, ndt.] et Bossi-Fini
[sur l’immigration, ndt.], voire l’ensemble de la
réforme Moratti [sur l’éducation, ndt.]. En somme,
toutes les grandes saloperies du gouvernement Berlusconi sont
restées incontestées. Et aujourd’hui, dans cette
seconde phase, on en arrive à mettre de côté toutes
les questions liées notamment au travail. L’ensemble de
ces éléments ont été
présentés comme un grand succès de la gauche, qui
est pourtant restée bredouille; pire, on a même
forgé le mythe d’un budget d’Etat
«bolchevik». Donc, pour la population, les mesures
négatives sont apparues comme des mesures prises par la gauche.
Et aujourd’hui, on nous dit qu’il faut forcer la marche et
passer à la phase 2. Voici les questions fondamentales.

En plus, un pouvoir fort comme celui du Vatican s’en est
mêlé, un pouvoir qui est en train de conditionner la
politique du gouvernement au sein même de l’Unione. Donc,
tous les pouvoirs déterminants qui avaient, d’une
manière ou d’une autre, favorisé une alternative
à Berlusconi, sont en train de promouvoir aujourd’hui un
nouveau cadre politique recentré. Une sorte de grande alliance,
de grande coalition, mais qui ne peut compter que sur les forces du
centre gauche, puisqu’elle ne dispose pas d’un
réservoir potentiel suffisant; l’élargissement
très limité de la base [du second gouvernement Prodi,
ndt.] au seul sénateur Follini [ex-UdC, «Italie du
Milieu», ndt.] est de ce point de vue très
révélateur.

Gigi Malabarba*

*Ex-Sénateur du PRC, membre de l’Association «Gauche Critique», 25 février 2007.

Napolitano criminalise les mobilisations sociales…

Gigi Malabarba fait référence ici à un discours
prononcé à Bologne par Giorgio Napolitano, le chef de
l’Etat italien. A cette occasion, il a soutenu notamment
qu’il ne fallait pas considérer que les manifestations de
rues constituaient le «sel de la démocratie»; il
valait mieux selon lui «s’ancrer dans les
institutions» démocratiques: «Si l’on nie
l’ancrage dans les institutions, on risque de glisser vers
l’incitation à la violence comme matrice de
décision, invoquée par des regroupements et des
mobilisations minoritaires et, face à
l’impossibilité de gagner de cette manière, on peut
en arriver à faire le pas vers la
dégénérescence extrême du terrorisme»

[notre traduction d’après L’Unità du 21 février 2007]. (solidaritéS)