VenezuelaRetour sur le rejet de la réforme constitutionnelle

Venezuela
Retour sur le rejet de la réforme constitutionnelle

Militant actif de la solidarité
avec les luttes en Amérique latine, Johnson Bastidas Benavides a
séjourné plusieurs semaines au Venezuela. A son retour,
nous lui avons demandé de préciser l’importance et
les raisons de l’échec d’Hugo Chavez dans cette
campagne.

La victoire du non à la réforme constitutionnelle de
Chavez a couramment été interprétée comme
étant une victoire de la droite. Étant donné la
très forte abstention dans les Etats industriels (entre 44 et
53%) et dans les Etats à prédominance indigène
(entre 45 et 47%), quelle interprétation peux-tu en faire, toi
qui as vécu l’avant et l’après
référendum au Venezuela1?

Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une victoire de la
droite. Il y a d’autres éléments dans la vie
politique vénézuélienne qui expliquent ce
résultat. L’abstention a toujours été
très présente en Amérique latine dans les
processus électoraux. En 1999 déjà, il y a
également eu un très fort taux d’abstention. Le
système électoral était discrédité
par les deux partis traditionnels du Venezuela le COPEI et l’AD2,
les deux partis ayant alterné à la tête de
l’Etat durant les 50 années précédant la
prise du pouvoir par Chavez. Nous pouvons critiquer le choix de Chavez
de recourir aux urnes pour légitimer les changements. En
étant présent au Venezuela j’ai senti que les gens
avaient encore de la peine à différencier la
démocratie participative de la Ve République de Chavez de
la démocratie représentative bourgeoise de la IVe
République qui l’a précédée. Beaucoup
n’ont pas compris les enjeux de cette réforme
constitutionnelle. L’Assemblée constitutionnelle a aussi
ajouté plus de 30 articles, ce qui a rendu la
compréhension des enjeux plus compliquée, bien que les
propositions de l’Assemblée aient été
votées séparément de celles de Chavez. En plus
d’une compréhension ardue, un autre élément
d’explication réside dans l’utilisation des
médias par la droite pour jouer sur la peur des gens, notamment
en insistant sur la «cubanisation» du Venezuela
entraînée par les pénuries de produits
alimentaires. Ce sont pourtant les spéculateurs liés
à la droite qui ont dissimulé les réserves de
nourriture. De même, la droite a insisté sur le fait que
le référendum signifierait la fin de la
propriété privée, alors que la Constitution la
garantit et qu’elle n’était pas remise en question.
Pour autant, je ne pense pas que le résultat du
référendum représente une victoire de la droite,
étant donné que cette dernière est très
divisée et n’a pas de projet politique. Je dirais plus
qu’il s’agit d’une victoire de la peur. Par exemple
dans les supermarchés, j’ai trouvé des
dépliants qui étaient distribués pour expliquer
comment préparer des cocktails Molotov ou d’autres dans
lesquels la droite menaçait de brûler Caracas si le
référendum passait. Beaucoup d’argent a
été investi dans cette propagande. J’ai
également senti la tension des gens dans les bureaux de vote,
où des membres de l’opposition ont brisé les
machines à voter.

Ce référendum s’est organisé moins
d’un an après le lancement du Parti Socialiste
Unifié du Venezuela (PSUV), qui revendiquait 6 millions
d’adhérents. Or, le oui n’a obtenu que 4,3 millions
de voix. Est-ce là l’expression d’une grande
hétérogénéité au sein du PSUV ou de
clivages au sein du mouvement bolivarien?

Personne ne remet en question le rôle joué par Chavez dans
le Processus3. Il y a un an, il n’y avait pas de parti politique
pouvant jouer le rôle d’avant-garde du Processus, mais
plusieurs petits partis. C’est la raison pour laquelle Chavez a
proposé la création du PSUV. Le problème est que
ce parti a été constitué à partir
d’en haut, par décret, et non sur la base d’une
dynamique populaire. Chavez a appelé les partis politiques
à se dissoudre et leurs membres à adhérer au PSUV.
Cette idée a divisé les mouvements sociaux et les partis
politiques. L’argument principal des partis était
qu’il n’y avait pas de programme politique du PSUV à
ce moment-là. Les mouvements sociaux se sont aussi
divisés pour cette raison. Il y a aussi des militants des deux
partis traditionnels, du COPEI ou de l’AD, qui ont
adhéré au PSUV. Je ne crois pas que le PSUV puisse
être l’avant-garde du Processus en piétinant le
corps d’autres partis politiques qui ont une importante tradition
de lutte et de résistance, comme le Parti communiste du
Venezuela.
Il existe aussi un problème lié au mélange entre
les objectifs d’Etat et les objectifs du processus politique.
Cela veut dire que les mouvements sociaux n’arrivent pas à
avoir une dynamique assez indépendante par rapport à
l’Etat. C’est un peu comme s’ils avaient
été kidnappés par l’Etat. Par exemple, il y
avait un certain nombre de mouvements sociaux qui avaient pour objectif
de fermer la chaîne de télévision RCTV,
instrumentalisée par la droite pour promouvoir un coup
d’Etat. Le ministère de la communication n’a pas
renouvelé le contrat de licence de la chaîne, mais il
n’a ensuite pas pris les mouvements sociaux à la base de
cette dynamique en considération. Le marasme des mouvements
sociaux ajouté à certaines pratiques bureaucratiques du
chavisme ont aussi contribué à la défaite du
référendum. Il existe aussi au sein du mouvement syndical
une direction bureaucratique assez opposée à une
dynamique de conseils ouvriers. J’ai retrouvé
d’anciens dirigeants de mouvements sociaux qui sont maintenant
fonctionnaires de l’Etat et qui sont coupés des mouvements
de base. Ces critiques doivent être abordées
dialectiquement, dans le sens où elles peuvent favoriser un saut
qualitatif du Processus bolivarien et du rôle significatif
qu’il joue en Amérique latine.

A ce propos, où en sont les divers projets, initiatives, de
Chavez et du mouvement bolivarien en Amérique latine? Je pense
notamment à la Colombie voisine où Chavez joue le
rôle de médiateur entre le gouvernement et les FARC.

Le Processus vénézuélien a une influence
très importante dans la prise de conscience de la
souveraineté des nations latino-américaines
opposée au credo néolibéral de la fin
supposée de l’Etat et de la souveraineté nationale.
Chavez a amené deux propositions significatives pour le futur de
l’Amérique latine. La première est l’ALBA4
pour contrecarrer les effets de l’ALCA5 impulsé par les
Etats-Unis, la seconde étant la Banca Del Sur, pour promouvoir
le développement des pays latino-américains
vis-à-vis des organismes financiers et commerciaux
internationaux (FMI, OMC, Banque Mondiale). Quelques nations
latino-américaines ont pris le contrôle de leurs
ressources naturelles et stratégiques. En revanche, en Colombie,
la politique de portes ouvertes au capital international et à
l’influence politique et militaire des Etats-Unis (Plan Colombie,
Plan Patriote) menée par le gouvernement d’Uribe va
à contre-courant du Processus, de même que les options du
gouvernement d’Allan Garcia au Pérou. Cependant
l’influence de Chavez ne s’étend pas seulement aux
questions d’ordre économique. Il a joué un
rôle clé dans la libération des otages colombiens
et est un interlocuteur incontournable pour l’échange des
prisonniers colombiens.

Les idées bolivariennes sont devenues la feuille de route
d’un très grand nombre de mouvements populaires et
contestataires latino-américains. Cette identification se
retrouve notamment au Venezuela, en Colombie, en Bolivie, au Nicaragua.
L’identité bolivarienne des FARC et les mouvements
bolivariens au Venezuela se rejoignent dans l’opposition à
l’influence des Etats-Unis et aux intérêts des
multinationales. Je pense qu’un saut qualitatif des
différents mouvements sociaux bolivariens, et plus
spécifiquement du Processus bolivarien lui-même, est
l’une des clefs de l’émancipation des peuples
latino-américains. Pour pouvoir le réaliser, une
unification des forces tout comme le renforcement d’une
conscience politique vigilante sont indispensables.


1    Le
Venezuela est divisé en 23 Etats (estados), un district
fédéral (Distrito Federal) et des dépendances
fédérales (Dependencias Federales).
2    Le COPEI, Comité d’organisation
politique électoral indépendant, est d’orientation
démocrate-chrétienne. L’AD, Action
démocratique, est membre de l’Internationale socialiste.
3    «El processo»: terme utilisé au
Venezuela pour décrire le processus de mobilisation et de
radicalisation en cours.
4    ALBA: Alternative bolivarienne pour les
Amériques. Organisation de coopération et
d’intégration, à laquelle participent
régulièrement Cuba, le Venezuela, la Bolivie et le
Nicaragua.
5    ALCA: en français ZLEA. Zone de libre-échange des Amériques.