Bolivie: offensive de droite contre le gouvernement d’Evo Morales

Bolivie: offensive de droite contre le gouvernement d’Evo Morales

Le 4 mai 2008, les autorités de
Santa Cruz (Bolivie) ont organisé un référendum
sur un statut d’autonomie. Le dimanche 1er juin, un scrutin
similaire s’est déroulé dans les
départements de Beni et du Pando. Le 22 juin, ce sera au tour de
Tarija. Tous ces scrutins
1
– organisés dans des régions gouvernées par la
droite bolivienne, battue aux élections de décembre 2005
et minoritaire dans l’Assemblée constituante – font partie
de l’offensive menée contre le gouvernement du MAS,
dirigé par Evo Morales.

Historiquement, la droite bolivienne sait utiliser la logique
«régionaliste»: en 1971 déjà,
c’est de la région de Santa Cruz que démarra le
coup d’Etat militaire du gorille Hugo Banzer contre le
gouvernement progressiste du général Juan José
Torrès.

Comme le montrent les événements de Sucre (capitale
historique de la Bolivie) le 24 mai, la droite ethnicise le conflit
avec le gouvernement, «demandant que la nation
“Camba” (blancs et métis des départements de
l’Est) se sépare de la nation “Criolla”
indigènes de l’Ouest, qualifiés de
“paresseux”, “passéistes” et de
“boulet au pied” des classes riches et moyennes).»2
Ce jour-là, des indigènes présents pour
l’anniversaire de l’indépendance ont
été passés à tabac par les gros bras du
«comité civico» de la droite, aux cris de
«Tuez les Indiens», «Les Indiens sont des
animaux».3 Dernier épisode: le 1er juin,
à Trinidad (département de Pando), les nervis de
l’Union de la Jeunesse de Santa Cruz (droite) ont tenté de
prendre d’assaut le siège de la fédération
paysanne départementale.4

Bien entendu, la revendication régionaliste a des bases
très matérielles: «A la lecture de ce statut
[à Santa Cruz], il ne fait aucun doute que ses auteurs ont
cherché à se prémunir de toute politique
gouvernementale qui puisse potentiellement affecter leurs
intérêts. Ainsi en va-t-il de la propriété
foncière, exemple qui symbolise à lui seul l’esprit
de ce texte. A ce jour, la superficie maximale de terres
autorisées en Bolivie est de 50 000 hectares. Alors que le
nouveau texte constitutionnel prévoit une réduction
drastique de cette limite à 5000 ou 10 000 hectares, laissant
ainsi augurer d’un processus de liquidation des latifundiums, le
“comité civique”, dont les membres sont pour la
plupart à la tête de grands domaines, accorde au futur
gouverneur départemental, et à lui seul, la
compétence d’attribuer des titres de
propriété. Une prérogative qui priverait le
pouvoir central de la possibilité de contester la
validité de ces titres, ce qu’il est encore en mesure de
faire aujourd’hui».5

Stratégie déstabilisatrice «made in USA»

Si la droite bolivienne a toujours su défendre âprement
ses intérêts, son action présente est partie
intégrante d’une contre-offensive, certainement
concoctée aux USA, contre les gouvernements de gauche en
Amérique latine (du moins ceux jugés non
récupérables par l’impérialisme yankee,
comme le Venezuela, l’Equateur et la Bolivie). Si les USA sont
empêtrés aujourd’hui jusqu’au cou dans le
bourbier irakien, cela n’annule absolument pas leurs
capacités de nuisance dans d’autres régions de la
planète.

La méthodologie utilisée aujourd’hui en Bolivie fut
jadis appliquée en 1970-1973 au Chili contre le gouvernement de
l’Unité populaire. Les mobilisations de la droite sont (et
furent) présentées comme une contestation de
gouvernements «autoritaires», «totalitaires»,
«gauchistes», «populistes» par une
«société civile» censée
représenter la «majorité silencieuse»
chère au défunt président étatsunien
Richard Nixon. Cette analyse, largement développée dans
la presse latino-américaine, est consciencieusement retransmise
en Europe par des médias comme Le Monde, Libération
(France), El Pais.6 «Quasiment tous les leaders
d’opinion influents […] sont eurocentristes à
outrance et “libéraux” de souche. […] Pour
eux, le “moderne” est le libre marché capitaliste,
tandis que les mouvements contestataires qui s’opposent au
capitalisme, à la grande propriété privée
et au consumérisme sont “primitifs, sauvages, anormaux et
malsains”. Dans leur logique cartésienne, la
“civilisation occidentale’’ s’oppose à
la “barbarie indienne”».7 Variation sur un
thème connu: la même logique guide les campagnes
menées contre Hugo Chávez et la révolution
bolivarienne au Venezuela…

Nationalisations et prochain scrutin national

Le 1er mai 2008, Evo Morales a annoncé la nationalisation
d’ENTEL et la prise de contrôle de 4 entreprises
d’hydrocarbures (Chaco, Andina, Transporte de Hidrocarburos
Sociedad Anonima -Tranredes – et Compañía
Logística de Hidrocarburos de Bolivia) autrefois
privatisées. Ainsi, grâce au décret de
nationalisation 28701, l’entreprise nationale «Yacimientos
Petroliferos fiscales Bolivianos» (YPFB) contrôle
totalement les hydrocarbures (un quart du PIB bolivien).

D’autre part, le 10 août 2008, se déroulera un
référendum révocatoire (comme cela fut le cas en
2004 au Venezuela) concernant les mandats du président et du
vice-président de la République, ainsi que ceux des neuf
préfets départementaux actuels. Une
échéance importante pour le gouvernement d’Evo
Morales et pour le mouvement populaire. 

Hans-Peter Renk


1    Les trois scrutins ont donné des
majorités acceptantes, mais avec 40% d’abstention à
Santa Cruz, 35% dans le Béni, 45% dans le Pando
2    André Maltais, «Un
référendum bolivien sur fonds de guerre civile et de
sécession», L’aut’journal (Montréal),
N° 266, février 2008 (www.lautjournal.info)
3    «Halte au racisme et à la violation
des droits de l’homme à Sucre, en Bolivie»:
communiqué du MRAP, 29.5.2008 (www.legrandsoir.info)
4    Hervé Do Alto, «Bolivie: climat de tension», Rouge, N° 2255, 5.6.2008
5    Hervé Do Alto, «Bolivie: après le référendum de Santa Cruz»(www.lcr-lagauche.be, rubrique «international»)
6    Renaud Lambert, «Le Monde pétrit la
pâte à modeler latino-américaine», 5.1.2006 (www.acrimed.org)
7    Cesar Fuentes, «Les médias boliviens et la campagne “anti-Evo”», 28.12.2006 (www.acrimed.org)