Missions civiles: journal de voyage

Missions civiles


Journal de voyage


Nous sommes cinq «Suisses» à nous être rendus en Palestine dans la seconde moitié de juillet, où nous avons rejoint d’autres internationaux des «Missions civiles pour la protection du peuple palestinien». En guise de cartes postales souvenirs, nous avons ramené ces images.


Gaza – Khan Younes


Nous rendons visite à un agriculteur dont les cultures ont été anéanties, pour la deuxième année consécutive, par les bulldozers israéliens. Entre serres et champs blottis autour de la maison et la colonie qui se profile au loin, la terre qui porte les cicatrices qu’y ont laissées les chenilles d’acier est dévastée sur des hectares, les puits d’eau sont comblés, le réseau d’irrigation éventré. Plus loin dans la campagne, si l’on ose donner ce nom à cette région dont l’occupant a fait un désert, un taudis de parpaing, de planches et de tôle ondulée où s’entasse une famille fait face à un champ miraculeusement épargné. Miracle illusoire, car la récolte va pourrir sur pied: nous n’osons plus y aller, nous explique le paysan, l’armée ou les colons nous tirent dessus. Comme pour confirmer ces propos, un tank passe lentement sur la crête qui domine la cuvette à quelques centaines de mètres de là. Il existe plus d’une méthode pour faire disparaître un peuple; l’acculer à la famine en est une.


Rafah


Ici, pas besoin de chiffres ni de commentaires, la volonté de destruction israélienne cingle les yeux: façades marquées des profondes balafres laissées par les tirs, squelettes de maisons se dressant au milieu des gravats, îlots d’habitation transformés en champs de ruines. On pourrait croire que les lieux ont été le théâtre de violents combats, s’il y avait eu combats; mais il n’y a eu qu’une répression militaire impitoyable contre une population désarmée: que sont quelques pauvres fusils face aux hélicoptères Apaches, aux avions F-16 et aux chars Merkava de la puissante armée israélienne? Rage dérisoire: ce n’est pas de missions civiles dont la Palestine a besoin, mais de brigades internationales, comme jadis l’Espagne républicaine. A proximité immédiate du camp s’étend un vaste dépôt d’immondices à l’air libre que la voirie ne peut pas traiter: un mirador se dresse à deux cents mètres de là, d’où partent des tirs chaque fois que les éboueurs s’y rendent. Nous passons plus d’une heure au milieu des ordures pour permettre à un bulldozer de nettoyer une partie du terrain. Est-il paranoïaque d’y voir la volonté de laisser le choléra parachever l’oeuvre de l’armée israélienne?


Bande de Gaza


Elle représente, à quelques kilomètres carrés près, la région comprise entre Lausanne et Nyon et délimitée, au sud, par la rive du lac et, au nord, par le pied du Jura. Vous prenez 40% de ce territoire, de préférence au bord du lac, et vous y installez 6 à 7000 colons; dans les 60% restants, un peu plus de 200 km2, vous entassez l’ensemble des habitants de Suisse romande, soit 1300000 personnes: la plus forte densité de population du globe. Vous bouclez la région sur tout son pourtour, rivage inclus, vous la quadrillez de check-points et de colonies-forteresses, vous y faites patrouiller l’armée et les milices de colons… et vous obtenez la prison la plus vaste de la planète.


Jérusalem


Nous manifestons notre soutien à l’Université d’Al Qods: dans la semaine écoulée, les forces de l’ordre israéliennes en ont investi l’administration, confisqué les ordinateurs et détruit les fichiers informatiques: inscriptions, diplômes, mémoires et thèses sont irrémédiablement perdus. Lorsque les flics interviennent, le seul d’entre nous à se faire tabasser et arrêter a incontestablement une tête de Palestinien. Tiens donc.


Naplouse


Entourée de collines dont les crêtes sont occupées par des colonies et l’armée, la ville a été déclarée zone militaire; elle est bouclée, rares sont ceux qui peuvent y entrer ou en sortir et la pénurie de médicaments se fait durement sentir. Les infrastructures industrielles, économiques et sociales, en bref, tout ce qui constitue le cadre de vie essentiel aux habitants d’une cité, a été détruit. Et le couvre-feu recouvre la ville telle une chape de plomb, confinant chacun chez soi, figeant la vie communautaire, asphyxiant toute la société.


Nous accompagnons le Dr Saber dans sa visite à une patiente qui, enfermée chez elle, n’a pas pu se rendre à la clinique; elle habite l’une de ces maisons, une quinzaine, situées en différents points de la ville, que l’armée israélienne a occupées, s’installant dans les étages et bouclant les habitants au rez-de-chaussée. En français, on dit: prise d’otages…


Beit Foriq, environs de Naplouse


La situation de ces villages où vivent plus de 70% des Palestiniens est encore pire que celle des villes. Encerclés par l’armée et les colons, coupés du reste du monde, ils sont privés de tout accès aux services médicaux comme aux autres services; la nappe phréatique est pillée par les Israéliens qui en confisquent les 80% et les villages en sont réduits à importer leur eau par camions-citernes. «Les colons nous voleraient jusqu’à l’air qu’on respire, s’ils le pouvaient», commentera plus tard un villageois.


Bien que le check-point qui contrôle l’accès de Beit Foriq soit réputé l’un des plus durs de la région, il est désert. A peine l’avons-nous franchi que la présence israélienne se rappelle à nous: attaqué ce matin par des colons alors qu’il amenait l’eau au village, un camion-citerne est immobilisé au bord de la route, pneus lacérés et calandre trouée de balles. Scène ordinaire de la vie quotidienne en Palestine occupée. Comme le sont le gamin fauché par la voiture d’un colon sur le chemin de l’école (simple accident de la circulation), le grand-père massacré dans son verger que convoite la colonie (acte isolé d’un psychopathe atteint de démence), le frère malade, mort au check-point faute de soins, l’épouse enceinte abattue par erreur d’une balle dans le dos, le verger d’oliviers de plus de 200 ans rasé par les bulldozers: les histoires que nous racontent ceux qui nous reçoivent sont dé-sespérément identiques.


Naplouse


A l’hôpital, autres récits, autres images, même horreur: la morgue pleine, les frigos vidés pour y entasser les corps, la cour de l’hôpital muée en fosse commune, jusqu’à ce que l’occupant se décide à autoriser les familles des victimes à venir chercher leurs morts; la colère impuissante devant la mort de ceux qu’on pourrait sauver, et que seul condamne le défaut de médicaments et d’équipements. Visite de la vieille ville. Emergeant de mes souvenirs, une image s’impose: Pompéi. Rangées de façades éventrées et de toits effondrés, larges tranchées où les éboulis se déversent d’une rue dans l’autre, de monstrueuses balafres déchirent la ville. Ici vivaient trois familles, nous dit-on devant ce qui n’est plus qu’un pierrier, et la semaine dernière, on a encore retiré deux corps des décombres. Là… ailleurs… les séquences se suivent et se ressemblent.


Ramallah


Braver le couvre-feu est une forme de résistance. Une cinquantaine de manifestants occupe la place des Lions, brandissant des banderoles et emplissant l’air des stridulations aiguës des sifflets – version palestinienne des cazeroladas argentines. Une heure plus tard, jeeps et tanks israéliens ont dispersé la manifestation à coups de lacrymogènes. Quatre chars d’assaut contre cinquante civils armés de sifflets: quelle meilleure image de la démesure de la répression israélienne?


Eradiquer le terrorisme


Destruction ou fermeture des hôpitaux, des écoles, des infrastructures publiques et des services sociaux, cou-vre-feu qui gèle toute vie économique et sociale, confiscation de l’eau, destruction des récoltes, démolition d’immeubles d’habitation, violences multiples exercées contre la population, assassinats quotidiens de civils sans discrimination d’âge ou de sexe, le but que visent les autorités israélienne est clair: convaincre par la terreur les Palestiniens qu’ils n’ont d’autre choix que l’exil ou la mort.(…)


Lausanne


J’interromps la relecture de mes notes pour écouter la radio. Dresde et Prague sous les eaux, inondations en Inde et au Bengladesh, vague de chaleur polluée au Canada, séismes ici ou ailleurs: c’est comme si, à la veille du sommet de Johannesbourg, la planète elle-même se rebellait contre ceux qui la pillent et la saignent à blanc. Va-t-on l’accuser de terrorisme?


Raymond George
collectif Urgence Palestine Vaud