Palme d’or: Le pianiste

Palme d’or: Le pianiste

Après avoir remporté la Palme d’or à Cannes, le dernier film de Polanski sort sur les écrans le 25 septembre. Cinéaste à l’éclectisme brillant, globe-trotter du cinéma, il aborde dans son dernier film un thème particulièrement difficile: celui de l’holocauste juif.



Le pianiste en question est un personnage historique, il s’agit de Wladyslaw Szpilman, un virtuose du clavier qui, après des études en Pologne et à Berlin, travaille pour la radio de Varsovie de 1935 jusqu’à l’invasion allemande. Szpilman fait aussi partie de la vingtaine de juifs qui ont survécu à l’holocauste tout en restant dans la capitale polonaise. Après cette incroyable traversée des années de guerre, le pianiste écrit un premier livre de témoignages en 1946 (Mort de la ville). Ses mémoires, «redécouvertes» par son fils en 1998, sont alors republiées en Allemagne et connaissent cette fois un succès international (elles sont traduites en français sous le titre Le pianiste). Szpilman meurt en 2000, à l’âge de 88 ans, après une belle carrière de compositeur et concertiste.



Bien que né à Paris (en 1933, soit 22 ans avant Szpilman), Polanski, enfant, traverse la même période. Emmené par ses parents, de nationalité polonaise, il arrive à Cracovie en 1936 et subira pendant la guerre la persécution raciale liée à son origine juive. Il survit au bombardement de Varsovie, puis au ghetto de Cracovie, tandis que sa mère meurt en déportation en 1941. Pourtant, le cinéaste se refuse à traiter ce passé, qui le concerne si directement, sous l’angle autobiographique et choisit de passer par les souvenirs d’un autre.

Entre reconstructions et citations


Une reconstruction adroite de la ville dans les studios berlinois de Babelsberg, les images de synthèse alliées à des tournages dans de vieux quartiers de la banlieue de Varsovie et le soin certain apporté aux costumes et aux accessoires donnent au film une bonne crédibilité historique. L’imaginaire du public est mis en éveil par le recours à des scènes qui se calquent sur des photos célèbres ou des films de la période: c’est le cas de la scène du fameux pont en bois qui permettait aux juifs de traverser la rue «gentille» qui séparait le ghetto en deux et ou de celle des ruines de la ville que se disputent les armées allemande et soviétique. Polanski rend aussi hommage au premier cinéaste à avoir traité cette thématique dans un film de fiction, Ernst Lubitsch, qui réalise en 1942 To Be or Not to Be (distribué sous le titre francophone «Jeux dangereux»): la phrase du Marchand de Venise de Shakespeare «Si vous nous piquez, est-ce que nous ne saignons pas? Si vous nous chatouillez, est-ce que nous ne rions pas? Si vous nous empoisonnez, est-ce que nous ne mourons pas?» – dont un fragment est lu par un ami de Szpilman dans l’enceinte ou il attend les trains qui l’amèneront à Treblinka – est également prononcée dans la célèbre comédie hollywoodienne de Lubitsch.

Un voyeur de l’histoire


Szpilman traverse la guerre en se cachant, aidé par diverses personnes qui l’apprécient avant tout comme artiste. Il doit sa survie, à tour de rôle, à un chef de la police juive du ghetto, à des socialistes, à des partisans polonais et à un officier de la Wehrmacht. Dans ses cachettes, il assiste aux luttes de ceux qui s’opposent au nazisme. Il écarte les rideaux pour observer l’insurrection juive du ghetto de Varsovie ou l’assaut d’un poste de police allemand par les partisans. Son engagement par contre reste limité, il joue un rôle dans le commerce d’armes pour l’insurrection, mais il s’en va avant celle-ci. Cette particularité du personnage est d’ailleurs quelque peu troublante, en quelque sorte il doit sa survie à son désengagement. Alors que ceux qui essayent d’organiser une résistance payent de leurs vies, Szpilman observe tout cela à travers sa fenêtre, comme une sorte de voyeur. Le personnage n’est pas fait pour faciliter l’identification au spectateur. Szpilman n’est pas un héros. Cependant, par ce choix, Polanski nous offre sa vision de l’histoire sans la lourdeur d’une glorification et d’un didactisme facile.

De Szpilman à Spiegelman


Les noms s’apparentent, et le sujet ressemble beaucoup à celui du film, bien que le média soit différent. Mais, vu les similitudes, comment ne pas citer la magnifique bande dessinée Maus de Art Spiegelman dans laquelle le fils d’un ancien déporté d’Auschwitz raconte son père, tout en essayant de «survivre au survivant». Un pur chef d’œuvre à lire, ou relire, avant de voir Le Pianiste. Le risque est que, malgré ses qualités, le film ne tienne pas la comparaison avec la BD…


Gianni Haver