M.I.A.: // / Y /

M.I.A.: // / Y /

La chanteuse Anglo-Tamoule revient avec un album d’agit-Pop : violent et sucré à la fois.

M.I.A., de son vrai nom Mathangi Arulpragasam, a sorti certainement
deux des meilleures disques des années 2000 : Galang en 2005
puis le chef d’œuvre Kala, en 2007. Ayant vécu au
Sri Lanka, elle a toujours mis en avant son origine tamoule. Elle
possède en fait un lien personnel avec les Tigres de
libération de l’Îlam tamoul (LTTE), son père
étant un membre fondateur de la section jeune des LTTE :
l’EROS, pour Eelam Revolutionary Organisation of Students. Cet
attachement aux Tigres, M.I.A. le souligne en donnant à ses deux
premiers albums le nom révolutionnaire de ses parents, Galang
étant celui de son père, Kala celui de sa mère. La
démarche artistique de M.I.A. a toujours été de
mélanger imagerie et son pop d’un côté,
contenu politique et musique urbaine d’un autre. Ainsi son
premier clip (« Galang ») la montre en train
de danser devant un décor formé de dessins de son cru
représentant sous une forme très pop des chars, des
avions de combat, des armes et des tigres. Cet animal, symbole des
LTTE, reste d’ailleurs un des éléments les plus
constants dans l’imagerie de la chanteuse. On le retrouve ainsi
dans le clip de « Sunshower » ainsi que dans
celui, tout récent, de « XXXO ».

    Lors des événements tragiques de 2009,
où le gouvernement raciste du Sri Lanka a lancé une
offensive massive pour massacrer les Tigres et de très nombreux
civils tamouls, M.I.A. s’est efforcée de dénoncer
ces faits, très largement ignorés ou
négligés par les médias. Cette même
année est également déterminante pour elle, car
grâce à la présence d’une de ses chansons sur
la bande originale de l’horrible Slumdog Millionaire, son talent
éclate aux yeux d’un public beaucoup plus large, la
faisant se rapprocher d’un statut mainstream aux Etats-Unis. La
question que tout le monde se posait était de savoir si son
prochain album, Maya, allait la faire définitivement tomber dans
l’industrie pop, M.I.A. devenant à la politique ce que
Lady Gaga est au queer.

Un album marqué du sceau du conflit

Vivre dans un écart permanent entre positions politiques
radicales et appartenance au gratin musical est forcément
générateur de tensions. Et la force de M.I.A. est 
d’accepter cet écart et de préférer exposer
le conflit que de le cacher ou d’en faire un motif anodin. Avec
Maya, elle refuse de donner ce qu’on attend d’elle. Ce
refus de se couler dans le moule a évidemment irrité les
journalistes. C’est hallucinant de voir à quel point,
notamment aux Etats-Unis, les journalistes, même ceux dits
alternatifs, ne supportent pas qu’une personne connue
démontre des postions engagées autres que la bonne
conscience humanitaire, d’autant plus si cette personne est une
femme et d’origine étrangère. Ainsi, une
journaliste du New York Time Magazine s’est empressée de
faire un portrait de M.I.A. comme quelqu’un de
prétentieux, soulignant la différence entre son rythme de
vie aisé et ses positions politiques, argument habituel de la
petite-bourgeoisie hostile à toute forme d’engagement.
Controverse assez anodine mais qui donna l’occasion aux
journalistes branchés de Pitchfork de faire une comparaison avec
les scandales sexuels de Michael Jackson. De son côté,
M.I.A. continue d’adopter dans ses interviews une position
très conflictuelle, dénonçant et critiquant le
pouvoir en général.

    D’un point de vue musical, cela donne un album
moins harmonieux que ses prédécesseurs. Le CD commence
par un message lu par le frère de M.I.A. qui dénonce en
gros l’emprise du gouvernement sur internet et sur la vie des
individus. Puis M.I.A. enchaîne sur « Stepping
Up » une chanson rap teintée de baile funk (funk
des ghettos brésilien, influence forte de M.I.A.) mais dont un
des sons utilisés n’est autre que celui d’une scie
électrique. Bref, une entrée en matière qui donne
tout de suite le ton. M.I.A. sort l’artillerie lourde. Sur
« Born Free », elle sample Suicide pour une
chanson punk, pas forcément très réussie, mais
efficace dans son refrain en hymne à la résistance.
C’est « Lovalot » qui possède le
contenu politique le plus clair. Son texte parle de la
nécessité de se battre, critiquant la position pacifiste
de Gandhi. Au milieu de ses chansons politiques rugueuses, M.I.A.
démontre aussi son talent pop. Ainsi
« XXXO » ou « Tell Me
Why » sont des chansons sucrées au possible. Ce qui
fait que l’on aime cet album, c’est justement ce
mélange. Si Maya n’avait compté que des tubes, il
aurait été très décevant, s’il
n’avait compté que des chansons revendicatives, il aurait
alors été trop aride. Ses deux faces, M.I.A. les a
illustrées à travers les deux premiers clips qui ont
accompagné cet album. D’abord celui de « Born
Free », réalisé par Romain Gavras (fils du
réalisateur Costa-Gavras), montrait une police américaine
violente intervenir dans des immeubles pour y embarquer tous les roux
et les conduire dans le désert pour les abattre. Un clip au
message politique pas très fin mais au moins clair dans sa
dénonciation du racisme. Suivit le clip de
« XXXO ». Ce dernier est une sorte de
portrait de M.I.A. ultra féminisée jouant sur une
imagerie kitch au son de « You wanna me be somebody who
I’m really not » (tu veux que je sois
quelqu’un que je suis vraiment pas).

    Maya est un album souvent très bon, parfois
moins, en un mot passionnant. M.I.A. y expose ses conflits et les fait
résonner à travers un disque qui refuse l’harmonie
et ne choisit pas entre pop et politique pour devenir enfin un cocktail
explosif. Les conflits de la réalité se trouvent ainsi
reflétés dans une musique qui possède des
qualités rares dans ce milieu : la sincérité et
l’investissement personnel total. Un album loin
d’être parfait. Mais en cette époque de crise et un
an après le massacre de son peuple, la perfection et
l’harmonie ne peuvent qu’être l’attribut
d’un art acritique et lâche.

Pierre Raboud

M.I.A. « ///Y/ » XL, 2010